La citerne de gaz aérienne du château de Versailles avait fait l’objet d’une commande spéciale auprès d’un ferrailleur indien nommé Anish Kapoor, se prétendant artiste, et pratiquant la vente à la découpe de vieux navires et porte-conteneurs rachetés à des armateurs grecs (son père était déjà dans la marine). Kapoor avait trouvé le bon filon en valorisant des tonnes de ferraille qui lui coûtaient une misère, sous forme d’œuvres d’art métalliques revendues à prix d’or à de riches amateurs. Agrémenter les greens de golf de sculptures monumentales en acier rouillé : rien de tel pour transformer un homme d’affaires inculte, en mécène éclairé.
S’avisant du fait que le fétichisme de la nouvelle aristocratie française pour l’art industriel seyait particulièrement à l’atmosphère du Château de Versailles, le Conservateur en chef des lieux, en accord avec le ministère de la Cultuvitude, avait voulu surprendre les très nombreux visiteurs du Château en quête de photos originales à publier sur leur page Facebook. Commande avait donc été passée à Anish Kapoor pour une œuvre d’art à la mesure ou à la démesure de la demeure royale du Roi Soleil.
Aux yeux des décideurs publics convertis aux bonnes pratiques du marketing culturel, il importait avant tout de capitaliser sur l’intérêt des visiteurs pour le classicisme versaillais, afin de les amener à jeter un regard neuf sur les objets les plus insignifiants : citernes de gaz, entrelacs de tuyaux de raffinerie, façades d’usines noircies par la saleté, tous objets que le sens commun avait cantonné dans les zones d’activité économiques et qu’il importait désormais de sortir des ghettos de banlieue pour POSITIVER notre perception du monde industriel. En choisissant d’implanter une gigantesque citerne de gaz au milieu des jardins du Château de Versailles, nos spécialistes de la culture entendaient démontrer que les banlieues industrielles ne sauraient conserver longtemps encore le monopole de l’obscénité paysagère. Celle-ci devait désormais être répartie sur l’ensemble du territoire, à la manière dont on distribue les centres commerciaux entre grandes agglomérations et villes moyennes. Il importait en outre de ne pas oublier de parsemer de disgrâce ces lieux où l’on continuait encore de célébrer en grandes pompes l’architecture classique inspirée par l’antique idée de beauté. La politique de la laideur, comme naguère celle de la Terreur, devait être volontariste : il ne saurait y avoir de véritable justice sociale sans un partage équitable des supplices visuels de la modernité.
On entrepris donc de réfléchir à améliorer l’esthétique des jardins et des perspectives versaillaises. La ligne discrète et épurée des petites citernes de gaz de couleur blanche qui trônent dans les cours et les jardins de nos maisons de campagne, était trop banale, trop anonyme, pour égayer un lieu aussi prestigieux que les jardins de Versailles. La citerne de gaz du Château de Louis XIV se devait d’être gigantesque, rouillée, affaissée sur ses pieds, un nez enfoui dans la terre, afin de mieux rappeler l’impossible révolte devant un tel outrage.
La nouvelle oeuvre d’art à peine déposée sur la pelouse des jardins avait été dégradée une première fois par un tagueur inconnu. D’autres s’étaient chargés de la rebaptiser pour mieux en dénoncer l’aberration : un tintinophile avait proposé « le cigare du fanfaron », tandis que « le pénis du roi » avait la préférence des plus virulents détracteurs. Les versaillais, de concert avec l’ « Association des riverains des monuments historiques » interdits de velux par la corporation (d’ordinaire si tatillonne) des architectes des Bâtiments de France, avaient décidé d’attaquer la décision du Conservateur devant le tribunal administratif, au motif de non-respect de la réglementation SEVESO dans les jardins de Versailles.
Aux dernières nouvelles, ce mystérieux visiteur est revenu marquer un seconde fois son désaccord sur l’immonde bonbonne métallique. Cette fois-ci, il a laissé un message en anglais pour être compris de tous les amateurs de jeux vidéos : «Respect art as u trust god». « Respecte l’art comme tu fais confiance en Dieu ». Quelle ringardise ! Croire que l’art puisse revêtir une dimension métaphysique ! Faut vraiment pas vivre avec son époque pour imaginer une chose pareille.

Autre réalisation d’Anish Kapoor, cette fois ci pour les JO de Londres, cette tour orbitale a couté £16 millions à Arcelor Mittal (payée sur les salaires des ouvriers français ?) et £3 millions aux contribuables anglais. On croyait les anglais moins portés sur l’esbroufe dès qu’il s’agit de payer….