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Quand les traders de BP manipulent le cours du propane, consommateurs et propaniers se font allumer
S’il y en a bien deux qui semblent se détester courtoisement c’est Amerigas, la maison-mère d’Antargaz, et le géant du pétrole British Petroleum (BP pour les intimes). Dans un des derniers rebondissements d’une histoire qui en a connu déjà un certain nombre, Amerigas, le leader américain du propane, assignait BP en prétendant avoir payé son propane beaucoup trop cher en 2004, suite à une tentative avortée d’accaparement du marché américain du propane par les traders de BP. La plainte pour tentative de monopolisation du marché, et enrichissement illégal a semble t’il été jugée recevable en 2010 par un juge américain. BP a déjà casqué plusieurs centaines de millions de dollars d’indemnités et de pénalités diverses dans cette affaire, étalée au grand jour dans la presse américaine. Une affaire qui n’a pas peu contribué à ternir l’image de BP outre Atlantique, bien avant la catastrophe de la plate forme de Deepwater et peu après l’explosion de sa raffinerie de Texas City (15 morts, 170 blessés) et la rupture d’un oléoduc de brut dans la baie de Prudhoe en Alaska.
Réponse du berger à la bergère ? Le 15 Juillet 2011, BP America dépose une plainte contre AmeriGas devant le tribunal de district de Denver, Colorado, alléguant, entre autres choses, une rupture de contrat et une violation d’un accord de partenariat pour certains biens et services fournis à BP depuis 2005 par AmeriGas. Ces services incluent l’approvisionnement en propane pour 400 clients résidentiels, à la demande et pour le compte de BP. La plainte vise un montant non précisé de dommages directs, indirects, consécutifs, spéciaux et compensatoires, y compris les honoraires d’avocats, les frais et intérêts…. La plainte prétend qu’AmeriGas ferait payer beaucoup trop cher ses services et/ou son propane. Si même BP se plaint que la maison-mère d’Antargaz vend ses services trop chers, alors là nous n’avons plus qu’à nous taire……..
Une tentative de prise de contrôle qui tourne très mal
Que s’est il passé exactement ? En 2006 les autorités américaines accusent le géant anglais du pétrole BP d’avoir acheté des quantités de propane inconsidérées en février 2004. Ces achats ont fait augmenter les prix de plus de 40 % à environ 90 cents le gallon et auraient dû rapporter 20 millions $ de profits. Le complot s’est finalement retourné contre ses auteurs quand le prix a perdu 25 cents en une seule journée le 1 mars 2004, retombant à 61.75 cents le gallon. Ce pari aventureux a fait perdre à BP 10 millions $ sur ses ventes de mars, les pieds nickelés du trading ayant dû revendre à perdre tandis que les températures remontaient, causant un tarissement progressif de la demande de propane. 10 millions de perte , c’est rien pour une direction du trading gaz et pétrole qui affiche chaque année entre 2 et 3 milliards de dollars de profits. Mais la perte va finalement être beaucoup plus importante pour BP.
Selon le CFTC, l’organisme de surveillance de la bourse des matières premières ( Commodities Futures Trading Commission) , les traders de BP ont acheté, avec l’accord de leurs supérieurs, d’énormes quantités de propane dans le but d’établir une position dominante et de contrôle, et assécher l’offre de propane de manière à faire monter les prix. Leur objectif était de contrôler le prix du propane « TET » , transporté dans le réseau de pipeline TEPPCO, qui part du hub texan de Mont Belvieu et irrigue le Midwest et le Nord Est ( à l’époque le propane importé par les ports texans circulait du sud vers le nord à travers ce pipeline. Le propane de schiste de l’Ohio, dans le nord des Etats Unis, étant désormais exporté par les ports texans, le propane circule depuis 2012 en sens inverse) .
BP a retorqué qu’il n’était pour rien dans cette affaire mais a tout de même viré tous les traders impliqués dans cette sombre histoire. Selon la CFTC c’est l’ancien responsable du trading Propane de BP, Mark Radley, qui aurait développé cette machination. Il aurait dit à son second que le succès ou l’échec de cette tentative montrerait « si on peut contrôler le marché à volonté », selon les transcriptions figurant dans le dossier transmis à la Cour. Le second en question, âgé de 32 à l’époque des faits, un certain Dennis Abbott, a plaidé coupable en Juin 2006 d’avoir participé à une conspiration pour manipuler et accaparer le marché du propane. Il semble que ce dernier ait coopéré avec le FBI au cours de l’enquête criminelle, dans l’espoir d’échapper aux 5 ans de prison et à une amende de 250 000 $. Radley, Abbott et un autre trader ont été virés par BP, une enquête interne ayant révélé que ces employés « n’avaient pas suivi la politique de BP en matière d’activités de trading ».
Le CFTC a prétendu que BP n’en était pas à sa première tentative d’accaparer le propane TET : BP avait déjà essayé de manipuler les cours du propane en Avril 2003 en utilisant une stratégie similaire. La plainte du CFTC prétend qu’un employé de BP a décrit la tentative de 2003 comme un galop d’essai pour celle de février 2004.
Des pénalités record
Les 10 millions de perte sur l’opération ne représentent qu’une part infime des pertes de BP dans cette affaire. BP a du s’acquitter d’une amende de 225 millions de dollars suite à la plainte au civil du CTFC, le surveillant de la bourse, auquel s’ajoute une amende de 25 millions de dollars à verser au fond de fraude en faveur des consommateurs ( Consumer Fraud Fund).
En sus, BP a négocié un accord pour payer 52 millions de dollars pour éviter une action de groupe (class action) d’acheteurs directs de propane et encore 15 millions de dollars pour éviter une action de groupe d’acheteurs indirects de propane. Le procureur général de l’Etat de l’Oklahoma, desservi par le même pipeline, et dont la population a été elle aussi touchée par la manipulation des cours, en a profité aussi pour intenter un procès à BP……
Quant à AmeriGas et les plus grands noms du propane américains qui se sont joints à cette plainte de tentative de monopolisation, bien qu’acheteurs directs du propane de BP, ils n’ont pas daigné se joindre aux actions de groupe : les géants américains du propane ont préféré appuyer là où ça risque de faire encore plus mal à BP. Leur plainte est basée sur la législation antitrust : en cas de victoire, les dommages-intérêts y sont trois fois plus élevés que dans les affaires de fraude classiques.
Le cartel du propane cause des dommages maximum à l’économie
C’est exactement le cas d’un particulier qui se chauffe au propane et qui voit son prix augmenter en plein hiver de 30 % . Va t’il changer son mode de chauffage en plein hiver ? Non. Dans ce cas les économistes disent que la demande de propane est « inélastique » à une variation de prix.
C’est dans ces cas de figure que les cartels sont les plus nuisibles et doivent être pourchassés avec le plus de vigueur. Ca doit être pour cette raison que l’administration française n’a pas encore trouvé les moyens de sévir de manière radicale contre le cartel du propane.