Plus un acheteur consomme de gaz, plus il s’expose au risque de variations de forte amplitude du prix du gaz. Ces variations sont tributaires des saisons du fait que la demande de propane connait un pic durant l’hiver. Le risque financier lié à ces variations de prix est d’autant plus grand que le volume d’achat est important. L’entrepreneur ayant horreur des risques qu’il ne peut maîtriser, les propaniers soumis à une concurrence raisonnable ont été conduits à offrir à leur clientèle des modalités tarifaires spéciales permettant de s’affranchir du risque de variation des cours du propane pendant une période donnée. Les propaniers non soumis à la concurrence ou qui se contrefoutent de leurs clients, comme en France, ne proposent évidement rien de tel aux consommateurs, et je doute fort que les propaniers français proposent quoi que ce soit à leurs clients industriels ou agriculteurs, pour les prémunir du risque de variations des cours du propane.
La plus mauvaise manière d’acheter du propane étant de le commander « au fil de l’eau », sans tenter de se protéger ou de se soustraire aux inéluctables hausses de l’hiver, il est très étonnant de lire dans les forums professionnels en France que certains éleveurs de volaille, pour ne parler que de cette catégorie de professionnels obligés d’acheter du propane en plein hiver, du fait que leur capacité de stockage n’est jamais à la hauteur de leurs besoins hivernaux, n’ont d’autres ressources que de prier pour que l’hiver se termine en espérant une baisse rapide des cours du propane au printemps.
Il y a en effet des méthodes réputées beaucoup plus efficaces que la prière pour se protéger des hausses de prix. En faisant le tour de la littérature américaine consacrée à ce sujet, j’ai repéré quatre options ouvertes aux clients américains ( professionnels mais aussi particuliers) qui permettent de ne pas se retrouver coincés avec des cours trop élevés au moment où il faut se procurer du gaz. J’en ai fait la synthèse ci-dessous afin d’inciter les acheteurs professionnels de propane à exiger des propaniers français qu’ils se mettent au diapason de leurs collègues américains.
1er option : Le prix bloqué.
Cette méthode dite aux USA du « Lock-in » consiste dans le cadre d’un contrat existant, à passer un avenant de prix d’une durée limitée (six mois ou un an). Il s’agit de bloquer le prix contre le versement d’une somme forfaitaire. Une fois le prix bloqué, on peut commander à n’importe quel moment au prix arrêté dans l’avenant.
Cette méthode est similaire à l’offre faite par certains propaniers en France uniquement au moment de la signature du contrat : on offre au nouveau client un prix bloqué pendant 18 mois, plus rarement deux ans. La différence entre le client américain et le client français est double :
a) le consommateur américain connait le montant exact de la prime qu’il doit payer pour obtenir le blocage du prix bloqué (cette prime dépend de la quantité achetée et du niveau de prix bloqué, elle varie pour un particulier entre $50 et $100). Alors que le consommateur français, lui, n’en finit jamais de payer une surprime tout au long de son contrat, sans réellement savoir combien le propanier lui a fait payer la petite gâterie du prix fixe « offert » la première année de son contrat.
b) le client français n’a la possibilité de bénéficier d’un prix bloqué que la première année ( voire les deux premières années) puis à nouveau lors de chaque renégociation de contrat. Le client américain, lui, est libre de renouveler ou non l’opération de blocage des prix en fonction de l’évolution probable du cours du propane.
Dans le schéma classique du prix bloqué, chaque année à la même époque un nouveau prix sera renégocié sur la base des derniers cours connus ( spot et future). Aux Etats Unis, les particuliers profitent ainsi des cours très bas des mois d’Août et Septembre pour bloquer leur prix de propane pour l’hiver. Il leur arrive certaines fois de perdre leur pari lorsque le propane baisse exceptionnellement durant un hiver : le client doit alors acheter à un prix plus élevé que le taux spot. De nombreux propaniers américains (en général pas les plus petits) proposent cette option à leurs clients particuliers ou professionnels. Une telle proposition de service est inimaginable en France, où l’absence de concurrence empêche les propaniers de se mettre à l’écoute et à la place de leurs clients.
A noter que sur le New York Mercantile Exchange (NYMEX), la bourse de valeur des marchandises non agricoles, il existe un « Propane Futures Contract » peu actif en nombres de transactions quotidiennes, mais qui permet en théorie aux distributeurs de carburants de se couvrir pour le risque auquel ils s’exposent en vendant à un cours prédéterminé. L’avantage est que ce contrat, libre d’accès, peut être négocié par un petit distributeur local comme par une grande multinationale. D’après les discussions que j’ai pu avoir avec certains traders travaillant pour le compte de gros acheteurs de propane, il semble qu’en France, ce soit les propaniers qui aient le monopole des couvertures sur les contrats à terme.
2eme option : Acheter à l’avance
Une formule plus intéressante que le lock-in, c’est le « pre-buy » , c’est à dire l’achat par anticipation quand les prix sont au plus bas. Cette formule est plus intéressante que la précédente parce que le prix du propane en pre-buy est inférieur au lock-in d’environ 10 à 20 % , ce qui peut représenter des sommes considérables. La différence entre les deux formules, pre-buy et lock-in, c’est que les clients ne se contentent pas de s’engager à acheter : ils achètent et payent comptant l’intégralité de leurs besoins pour un an, la livraison se faisant au fur et à mesure que leur citerne se vide.
La formule est courante aux Etats Unis : n’importe quel petit consommateur américain peut signer un contrat de ce type avec son propanier dès lors que celui-ci propose cette option. Certains consommateurs font même de l’existence de ce service, un des critères de choix de leur fournisseur. J’ignore si ce tarif est proposé aux petits professionnels en France (je n’en ai jamais entendu parler). Les propaniers français rétorqueront peut être que « ça n’intéresse pas leurs clients », ou que « cela n’est proposé qu’aux très gros clients car cela n’intéresse pas les autres ». Comme ils racontent les mêmes âneries à propos de l’achat des citernes « qui n’intéressent par leurs clients », on est prié de ne pas les croire sur parole.
Car cette option peut être très intéressante, y compris pour le professionnel ou le consommateur qui n’a pas un sou vaillant au début de l’été. En effet tous les hivers, bon an mal an, le propane augmente de 20 à 30 % entre Octobre et Février, et ceci est largement prévisible 6 mois à l’avance. Si vous savez devoir acheter un bien qui va augmenter de 30 % dans les six prochains mois ( donc inflation au taux nominal de 60 % annuel !) et que vous pouvez vous prémunir contre cette hausse en payant même le taux d’usure de 10% à votre banque, il n’y a pas besoin de sortir de Saint Cyr pour comprendre que vous avez intérêt à emprunter de manière à acheter votre gaz immédiatement afin d’éviter une hausse de prix conséquente (pour autant que vous soyiez sûr d’avoir besoin de gaz en hiver). Un éleveur de poulet qui emprunterait 6 mois avant, pour faire un « pre-buy » et rembourserait progressivement son emprunt après la vente de chaque cargaison de volatiles, gagnerait plusieurs centaines d’euros dès la deuxième tonne de propane achetée en plein hiver, après déduction des intérêts payés à sa banque. Le calcul est relativement simple à modéliser avec un tableur.
On notera enfin que ni le lock-in ni le pre-buy ne sont incompatibles avec l’exclusivité de remplissage telle qu’elle se pratique en France. En théorie donc, rien n’empêche les propaniers français de proposer ce genre de service à leurs clients. Encore faudrait il qu’ils s’intéressent plus à résoudre les problèmes de leurs clients qu’à leur en créer de nouveaux.
3ème option : Acheter groupé
Mieux que l’achat anticipé: l’achat anticipé groupé !
Les professionnels réunis dans une même corporation , les éleveurs réunis dans une même coopérative agricole, les résidents d’un même lotissement peuvent décider de se grouper dans le but d’acheter du propane aux meilleurs prix.
Dans ce schéma, par exemple, un groupement formel ou informel d’éleveurs de volaille va estimer la quantité annuelle nécessaire pour chacun des membres du groupement. Si les éleveurs ne sont pas propriétaires de leur citerne et restent tributaires de leur propanier respectif, cette estimation sera regroupée par propaniers, et négociées avec chaque propanier sur des bases plus favorables que lors d’une négociation individuelle. Si, à l’inverse, les éleveurs sont tous propriétaires de leur citerne, l’estimation du volume global à commander ne sera pas répartie entre les propaniers : la négociation portera sur les volumes totaux à commander par le groupement; ces volumes étant plus importants, et les propaniers pouvant être mis en concurrence les uns avec les autres, les remises de prix seront plus conséquentes.
Le résultat de ces négociations diffère selon les quantités et le type de clients : soit le groupe d’éleveurs obtient un prix fixe contractuel pour l’année à venir ( c’est souvent le cas pour les quantités livrables inférieures à 5 ou 10 tonnes ), soit il obtient un prix directement indexé sur le marché spot plus une marge précisée dans le contrat.
4eme option : Augmenter le volume de stockage
Le but est d’ augmenter la capacité de stockage de gaz pour pouvoir bénéficier des prix les plus favorables. On peut souvent augmenter le nombre de stockage facilement. Il est plus délicat d’augmenter la taille des citernes existantes .
Les quotations de prix sur les semi remorques de propane (entre 18 et 20 tonnes) sont toujours beaucoup moins chères que les livraisons par petit camions. Donc le fait de pouvoir disposer (éventuellement à plusieurs partenaires) de volumes de stockage totalisant 18 tonnes , et d’acheter le propane par camion entier permet d’abaisser les prix de manière substantielle. Le problème de cette solution est le coût de sa mise en oeuvre : même si on préfère multiplier les citernes de petite taille, les citernes sont chères à l’achat, requièrent souvent un terrassement préalable en plus d’une installation et d’un raccordement par un professionnel. Sans compter les autorisations officielles dès que les citernes atteignent un certain volume cumulé.
Remarquez bien que vous n’êtes pas obligé d’acheter une seconde citerne si votre souhait est d’explorer une telle option. De nombreux propaniers prêtent gratuitement des citernes sous caution………..pour peu qu’on fasse semblant de vouloir s’approvisionner chez eux.
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Maintenant que vous avez parfaitement assimilé les techniques ultra- simples couramment utilisées dans le monde anglo-saxon pour se protéger contre les hausses tarifaires de l’hiver, je vous ai recopié un extrait des conditions du contrat PRIMACONFIANCE de Primagaz, relatives à la protection contre les hausses de prix proposée par ce propanier aux consommateurs. On est prié de ne pas rire :
« Dans le cas où le CIF ARA L Cotation Argus augmenterait de moins de 15 % par rapport à sa valeur T, alors Primagaz ne pourra faire évoluer le barème gaz au delà de l’encadrement de 5 %. Dans les cas où le CIF ARA augmenterait de plus de 15 % par rapport à sa valeur T, alors Primagaz pourra faire évoluer le barème gaz au delà de l’encadrement de 5 % . La date T correspond à la date du barème de l’année précédente…. Ces mécanismes sont appliqués à la hausse comme à la baisse »
Sachant que la plupart du temps, entre l’été et l’hiver la variation du Propane CIF ARA est quasiment toujours supérieure à 15 % ( voire régulièrement supérieure à 30 % comme on peut le voir ici: http://wp.me/P308k1-KH ) , devinez si le consommateur Lambda a les moyens de comprendre si ce que Primagaz lui propose est en mesure de le protéger de quoi que ce soit…. ou si c’est juste un bidule de plus pour faire croire au consommateur que le propanier se préoccupe réellement de ses clients.