Le rachat de Totalgaz par Antargaz – UGI n’a pas fini de faire des remous dans la profession. Devenu n°1 du GPL, la nouvelle entité Antargaz – Finagaz peut désormais se permettre de faire la pluie et le beau temps sur le marché français. Primagaz et Vitogaz savaient qu’ils seraient les grands perdants du rachat de l’ex filiale de Total par le numéro 1 mondial du GPL. Ils n’avaient pas manqué de faire part à l’Autorité de la Concurrence de leur inquiétude au sujet de potentiels abus de position dominante d’Antargaz dans les dépôts de GPL passés sous contrôle majoritaire d’ Antargaz.
Pour illustrer l’enjeu économique considérable des tarifs et conditions d’accès aux dépôts de GPL vrac, je vais commencer par vous raconter une petite anecdote. Lorsque nous avons planifié le lancement du Groupement Propane Libre avec la société Gaz Liberté ( ex-WECO-GAZ ) à la fin de 2009, le patron de cette PME allemande avait jugé indispensable d’adresser auparavant une belle lettre aux propaniers français pour les interroger sur le prix auquel les membres du cartel seraient prêts à lui vendre du propane si d’aventure il lui venait l’idée (saugrenue) de tenter de refaire le plein de GPL de ses camions dans un dépôt français. Comme le patron n’est pas né de la dernière pluie, il n’était pas dupe de la réponse qu’il allait recevoir. Le cartel ne pouvait pas ne pas répondre à la demande de Gaz Liberté, mais il pouvait fort bien répondre n’importe quoi. Et il ne s’en est pas privé. C’est ainsi que nous avons bien rigolé en constatant que le prix de vente proposé par le cartel pour la tonne de gaz achetée dans un dépôt vrac français était supérieur au prix auquel nous avions l’intention de faire les premières livraisons. Exit donc la possibilité de refaire le plein de propane dans les dépôts français.
Restait les raffineries portuaires en France disposant de leur propre production et stock de GPL, sauf que… ces stocks font l’objet de contrats d’achat permanent avec les membres du cartel. Seul port accessible à proximité de Paris, le port belge d’Anvers échappe à la mainmise du cartel français. Sans Anvers, il aurait été impossible de créer notre Groupement.
On l’aura compris : les tarifs d’accès aux dépôts de GPL nécessaires au ravitaillement des camions de livraison, est un des instruments utilisés par les propaniers pour tenir en respect toute concurrence indésirable. La même politique vaut , dans une moindre mesure, entre membres du cartel. Lorsqu’un camion chargeant pour Vitogaz vient se ravitailler dans un dépôt détenu par Primagaz, Vitogaz paie le rechargement à un prix plus élevé que lorsque le même camion s’arrête dans un dépôt appartenant, pour tout ou partie, à Vitogaz. Un propanier ayant peu investi dans des dépôts relais régionaux, mais souhaitant desservir tout l’hexagone est donc mathématiquement condamné à un coût de revient moyen de la molécule de gaz sensiblement plus élevé que ses concurrents, quelle que soit sa puissance d’achat sur les marchés de gros. Si les clients Vitogaz (qui détient le plus faible nombre de dépôts en propre ou en participation) étaient conscients de cet état de fait, nul doute qu’ils réfléchiraient à plusieurs fois avant de s’engager avec ce propanier.
On comprend mieux pourquoi l’Autorité de la Concurrence a jugé nécessaire d’intervenir au moment du rachat de Totalgaz par Antargaz, en exigeant qu’Antargaz prenne certains engagements concernant l’accès aux dépôts détenus (conjointement ou en totalité) par Totalgaz afin de garantir des conditions de remplissage honorable pour les camions affrétés par Primagaz et Vitogaz. Les détails de cet accord n’ont évidemment pas filtré à l’extérieur. Cependant à lire le communiqué de l’Autorité de la Concurrence, il est certain que la question a été épluchée dépôt par dépôt, à commencer par les cas les plus problématiques, ceux où le rachat de Totalgaz par Antargaz induisait une position dominante de la nouvelle entité.
Si Antargaz a , comme on peut l’imaginer, été contraint par l’Autorité de la Concurrence à s’engager sur un statut quo « ex-ante » dans les dépôts où il détient désormais la majorité des parts suite au rachat de Totalgaz, le distributeur américain n’en a pas moins conservé les mains libres dans les autres dépôts. Ainsi on apprend par le site du journal « Paris Normandie » qu’Antargaz compte se désengager de son dépôt SIGALNOR à Gonfreville l’Orcher, dans la banlieue du Havre, dont le capital est actuellement détenu à 35 % par Vitogaz , 35 % par Primagaz et 30 % par Antargaz-Finagaz. Le motif invoqué ? Contrairement aux deux autres actionnaires de Sigalnor, Antargaz refuserait de financer les travaux permettant de mettre le site normand aux normes conformes au PPRT. Le coût des travaux que doivent supporter les trois actionnaires s’élève à 1,5 M€ (soit 0,5 M€ à la charge d’Antargaz) , l’Etat et les collectivités locales prenant à leur charge la plus grosse part soit 3 M€. Sigalnor emploie 17 personnes et a réalisé un CA de 2,8 M€ en 2016.
Au regard de la somme exigée, il est évident que la raison avancée n’est que le prétexte pour une première tentative de rationalisation de la carte des dépôts d’Antargaz suite au rachat de Totalgaz. Les élus communistes concernés (le député et le maire de Gonfreville L’Orcher) ne sont d’ailleurs pas dupes de la raison invoquée par Antargaz. Poussés par leur base, ils agitent le spectre de la menace de fermeture du site non sans s’être posés la question de savoir si Primagaz et Vitogaz ont vraiment les moyens de se passer de ce dépôt.
La réponse pourrait bien se trouver dans la question. Côté Vitogaz, il n’est pas question de se passer de Sigalnor. Si le site de Sigalnor n’était pas stratégique pour Vitogaz, l’éternel petit poucet du GPL (qu’on retrouve plus souvent au fond de la classe que dans les premiers rangs), ne se serait certainement pas donné la peine de prendre 35 % de SIGALNOR. Sans compter que la Haute Normandie est le fief historique du propanier et certainement la région où Vitogaz dispose de la part de marché la plus importante (si j’en juge notamment par le nombre de important de clients normands de Vitogaz ayant contacté l’Association). Pour Primagaz la réponse est la même au regard de la densité exceptionnelle de citernes de gaz installées en Haute Normandie, une des plus denses de France, et des installations de conditionnement de gaz en bouteille. Sans compter que le site (3500 m3 de propane enterrées sous talus) est l’un des rares de l’hexagone à être adossé à un gigantesque site d’importation (Norgal, filiale d’Antargaz , Total et Rubis-Vitogaz, 90 000 m3 de GPL ) qui approvisionne la moitié du territoire français en GPL.
Conclusion : les deux actionnaires restants se verront obligés de trouver un nouveau partenaire, ou à défaut, de reprendre à leur compte la part de capital détenue par Finagaz. Au final, Antargaz aura nullement « porté atteinte à l’existence même de certains de ses concurrents » comme le déclare les élus locaux avec une grandiloquence feinte. Le propanier aura par contre porté gravement atteinte aux employés qui ne travailleront plus demain sur le site ( mais faut-il attendre autre chose de la concentration des géants du secteur ? On parle d’une diminution de moitié de l’activité suite au départ d’Antargaz…) tout en obligeant Primagaz et Vitogaz à contribuer indirectement au rachat de Totalgaz, en les forçant à racheter les parts de Finagaz dans Sigalnor.
Il y a un moyen très simple d’anticiper la réaction de Vitogaz et Primagaz au départ d’Antargaz du site de Gonfreville : il suffit que les élus communistes, au lieu de rester dans leur ritournelle revendicative, se retroussent les manches et partent en voyage d’affaires pour solliciter un propanier non encore présent sur le marché français afin qu’il se porte acquéreur de la part de Finagaz dans le capital de Sigalnor. Si les prix du GPL sont si élevés en France en comparaison de la Belgique et de l’Allemagne, c’est parce que les consommateurs sont dépourvus de moyens pour attirer des entreprises étrangères en France. Mais les élus, eux, ont parfaitement les moyens de prendre ce genre d’initiative.
Vous verrez alors comme par enchantement avec quelle rapidité Primagaz et Vitogaz vont s’empresser de se répartir la part de Finagaz, sans faire la fine bouche sur le financement du PPRT et sans demander leur reste. Car rien ne fait plus peur au cartel français que la possibilité de l’irruption d’un nouveau concurrent étranger du type de Gaz Liberté, non rodé au capitalisme oligopolistique à la sauce bien française.
Nos élus communistes commenceraient à comprendre comment, avec un parc de citernes installées deux fois moins important qu’en France, les allemands arrivent à faire vivre deux fois plus d’emplois directs et indirects dans le secteur la distribution et le transport du GPL, en favorisant les petites entreprises familiales. Ce qui revient inéluctablement à contrarier les stratégies de collusion et de fusion des grands groupes ( rationalisation à outrance, oligopoles, manipulation des prix, contrats abusifs, arnaques en tout genre…).
Alors, avis aux entrepreneurs français ou étrangers qui reluquez le formidable marché français du vrac domestique avec ses marges affriolantes. Vous voulez conquérir une part du gâteau français du petit vrac ? Faites une offre pour racheter un tiers d’un stockage existant dans un dépôt de GPL en joint- venture avec Vitogaz et Primagaz. Promis ! Si vous vous portez acquéreur, je vous donne en prime les adresses de tous les consommateurs de propane de Haute Normandie qui veulent se débarrasser de Vitogaz mais qui ne savent pas comment s’y prendre. Une liste fournie en quelque sorte … »RUBIS sur l’ongle ».
MAJ du 29/07/2017 : nouvel article de Paris Normandie.fr au sujet de Sigalnor : c’est bien la première fois que je suis d’accord avec la direction d’Antargaz. Les cris d’orfraie de Vitogaz et de Primagaz ne servent en réalité qu’ à annoncer les baisses d’effectif sur le site, baisse rendue inéluctable par l’annonce d’Antargaz. Une baisse d’effectif que les deux propaniers restants sur le site vont devoir gérer en lieu et place d’Antargaz.