« Il faut savoir que les choses sont sans espoir et être pourtant déterminé à les changer»
F. Scott Fitzgerald . La fêlure. 1936
Moi président, la troisième mesure que je prendrai sera d’obliger les propaniers à jouer la transparence au sujet de la valeur locative et la valeur de marché des citernes d’occasion. Ils seront tenus de justifier citerne par citerne, la valeur nette comptable des citernes inscrites au bilan (déduction faite des amortissements et provisions), la valeur locative nette déclarée pour les citernes mises à disposition (telles que figurant dans les bases d’imposition de la Contribution Economique Territoriale), et le prix de cession de ces citernes tels que publiés dans les tarifs à destination des consommateurs.
Car sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, les propaniers se moquent du monde, en tenant un double langage. Ils ne peuvent pas demander au fisc d’amortir comptablement leurs citernes sur 10 ans ( taux d’amortissement des citernes à liquide ou à gaz = 10 %) tout en prétendant, au moment de les revendre lorsqu’elles ont 9 ans, que leurs citernes n’ont pratiquement pas perdu de leur valeur ! Or c’est bien ce qu’ils prétendent.
L’approche arithmétique la plus cohérente de la valeur d’une citerne d’occasion en fonction de son âge, a été fournie par la Competition Commission de Grande Bretagne. Dans l’étude très fouillée qui conduisit cette commission à prendre un certain nombre de mesures pour stimuler la concurrence sur le marché britannique, les fonctionnaires anglais ont modélisé la valeur d’une citerne d’occasion au fil des ans. Le but était de mettre tout le monde d’accord sur une méthode d’évaluation unique de manière à faciliter les cessions de citernes usagées entre professionnels. On aurait bien aimé que notre Autorité de la Concurrence fixât un cadre identique dans son rapport de 2014 sur les entraves à la concurrence dans le marché du propane vrac en France. Selon la Competition Commission la valeur d’une citerne usagée est représentée par une ligne brisée en « dents de scie » : la citerne recouvre sa valeur à neuf après chaque ré-épreuve décennale, c’est-à-dire une fois tous les dix ans. Le reste du temps, sa valeur décroit de manière linéaire de sorte qu’une citerne de 9 ans, ou de 19, ou de 29 ans ne vaut quasiment plus rien. Ca c’est la théorie de la valeur économique.
Qu’en est il dans la pratique ? D’après un rapport de la Chambre des Représentants du Connecticut, la dépréciation comptable des citernes est pratiquée sans relation directe avec la valeur économique de la citerne. De sorte qu’ « il n’est pas inhabituel que le prix facturé par les propaniers aux propriétaires qui souhaitent acheter une citerne dont ils disposent depuis plusieurs années, soit fixé à hauteur du prix initial, comme si la citerne était flambant neuve ». Mais, ajoute aussitôt le rapport, la pratique consistant à ne pas dévaluer la citerne avant de la vendre aux consommateurs peut se justifier « dès lors que les citernes ne doivent pas être requalifiées périodiquement » ce qui est précisément le cas de la majorité des citernes américaines sous standard de fabrication ASME (ndlr : ce standard n’a pas d’équivalent en France). En ce qui concerne les citernes au standard DOT (Department of Transportation, ce sont probablement des citernes prévues pour être montées sur tracteur, contrairement aux citernes ASME destinées à rester immobile), elle doivent être requalifiées tous les 12 ans, et « ne peuvent donc être considérées comme flambant neuves à mesure que les années passent ». Les citernes fabriquées en France sont requalifiables tous les 10 ans. La nécessité de procéder à une requalification périodique offre en France une possibilité de contestation des prix abusifs imposés par les propaniers pour le prix de cession des citernes d’occasion : une citerne requalifiable ne peut pas avoir le même prix de cession avant et après requalification, comme cela est pourtant indiqué dans les barèmes des prix de cession des citernes !
Les propaniers français amortissant leurs citernes en dix ans, et ne procédant à une ré-épreuve que sur échantillonnage, grâce à certaines libéralités permises par la réglementation, se sont en réalité créés une espèce de jackpot comptable. En effet la ré-épreuve d’une seule citerne de leur parc (plus de 100 000 citernes pour chacun des propaniers ) a le pouvoir de faire apparaître une plus-value dans leurs comptes d’autant plus importante que cette plus-value est multipliée par le nombre de citernes contenues dans le lot de fabrication de la citerne rééprouvée. En investissant 500 € dans la ré-épreuve d’une seule citerne, notre propanier revalide en réalité toutes les citernes fabriquées en même temps, i.e avec la même bobine d’acier et la même composition d’alliage de soudure…. Cette revalidation d’un lot unique de fabrication dont la valeur comptable était auparavant nulle (fabriquées en même temps, elles auront été amorties selon la même cadence), entraîne une réévalution de la valeur comptable de toutes les citernes du lot. Cette réévaluation d' »actif » représente un gain net pour les actionnaires. Admettons que le lot en question comprenne 200 citernes : vous connaissez beaucoup de combines qui grâce à un investissement de 500 €, vous permettent de revaloriser l’actif de votre entreprise à hauteur de 200 * 500 = 100 000 € ? Et d’engranger autant de bénéfice dans l’exercice ? Bien entendu, Bercy touche sa part du jackpot sous forme de l’impôt sur les sociétés.
Le gros dindon de cette farce de la valorisation et de la revalorisation comptable des citernes d’occasion ( à vrai dire le seul et unique dindon), c’est le consommateur. Ce dernier doit en effet s’acquitter de tarifs prohibitifs pour racheter les citernes usagées aux propaniers, quand bien même les propaniers et le fisc reconnaissent que la valeur d’une citerne est quasiment nulle au bout de 9 ans. Les tarifs de revente de citernes d’occasion en France ne tiennent par conséquent ni compte de la valeur d’usage de la citerne ( ce qui équivaudrait à un amortissement linéaire sur 40 ans compte tenu de leur durée de vie ) ni de sa valeur comptable résiduelle ( amortissement linéaire sur 10 ans). Il faudra bien un jour aller exiger des propaniers qu’ils nous donnent des explications sur leur tarif de revente. On remarquera au passage que les propaniers prétendaient jusqu’à il y a peu, NE PAS faire commerce des citernes de gaz. Vu les prix de vente pratiqués pour les citernes d’occasion, je me doute que leur discours a singulièrement évolué sous la pression de la concurrence que nous leur avons imposé.
Mais le plus beau dans cette affaire est pour la suite : c’est le scandale français de la taxe professionnelle ( CET ) sur les citernes appartenant aux propaniers, citernes éparpillées dans des milliers de villages à travers l’hexagone, lesquels villages ne voient jamais une miette de cette taxe arriver dans leur budget communal. Tandis que nos villages subissent quasi-quotidiennement en hiver les nuisances de camions de livraison de 17 tonnes (pour les plus légers d’entre eux) qui défoncent allègrement nos chemins vicinaux…Comment est calculée cette taxe pro ? Et où passe tout l’argent de la taxe pro sur les citernes de gaz ? C’est ce que nous allons maintenant essayer de savoir.
A SUIVRE