S’il était encore nécessaire de prouver le caractère sordide des pratiques commerciales des grands propaniers fixant le prix du propane à la tête du client, il suffirait de relever la différence de comportement de ces entreprises lorsque leurs arnaques grossières arrivent aux oreilles de journalistes attentionnés. Les anciens du Groupement Propane Libre se rappelleront comment la présence des radios et des télés à la Boissière Ecole, un jour de Janvier 2010, avait valu une baisse immédiate de 70 % du tarif Vitogaz payé par le cantonnier de ce petit village. La menace d’une mauvaise publicité peut amener rapidement à repentance des firmes qui, la veille encore, prétendaient ne pas pouvoir consentir la moindre remise supplémentaire. Je me rappelle les propos du commercial Vitogaz éructant à mon intention au téléphone « Qui êtes-vous pour discuter le prix du propane négocié avec un de nos clients particuliers ? Le maire de la commune ? » Comme si seul un maire était habilité à se plaindre du traitement particulier accordé à un voisin par un fournisseur indélicat….
C’est au même constat de l’impossibilité de faire bouger les choses sans l’intervention des caméras de télévision qu’est arrivée une habitante d’un petit village anglais. Cette dame, Janet Hobbs, est cliente de la société FLOGAS, le numéro 2 du propane au Royaume Uni (derrière Calor Gas, filiale de SHV- Primagaz). Si l’on en croit les avis des consommateurs anglais, Flogas semble bien parti pour avoir sa place au Panthéon des arnaqueurs anglais. Rappelons que la maison mère de FLOGAS vient de racheter le français Butagaz au groupe Shell. Il est donc normal que l’ADECOPRO cherche à en savoir un peu plus sur ce propanier inconnu jusqu’à présent dans l’hexagone. Pour citer un ancien client de Flogas particulièrement remonté contre ce propanier, il semble en effet « plus facile de trouver des dents de poule sur la toile que des recommandations positives » sur ce distributeur de gaz.
L’histoire de Janet Hobbs, cette habitante du village de Winkleigh dans le Devon (Angleterre) qui s’est bagarrée pour obtenir que les clients de Flogas soient tous traités de la même manière, illustre bien la nécessité d’utiliser les grands moyens pour obtenir des propaniers qu’ils amendent sérieusement leurs pratiques commerciales.
Avant de raconter son histoire, il convient de dire un mot sur un présentateur vedette de la télé anglaise, Dominic Littlewood. Ce Julien Courbet à la sauce britannique anime une émission de 45 minutes sur BBC ONE consacrée à la défense des consommateurs. Le titre de son émission : « Don’t get done, get DOM » (« Ne vous faites pas rouler, appelez Dom»). Littlewood s’est fait une spécialité de réunir des consommateurs partageant un même problème, et d’utiliser le rapport de force bâti sur l’audience de son émission – ce qu’il appelle le « people power » – pour faire plier les GRANDES entreprises.
Janet Hobbs, propriétaire d’une villa dans la résidence de Kings Meadow dans le village de Winkleigh, a donc découvert en 2009 que les résidents payaient des prix différents pour le gaz propane, en dépit du fait qu’ils étaient tous clients du même fournisseur FLOGAS, et qu’ils commandaient des quantités à peu près identiques. Janet Hobbs prit contact avec l’équipe du présentateur télé en expliquant que les 45 maisons de sa résidence payaient entre 35 pence et 47 pence le litre de gaz avec des charges additionnelles allant de 2 p à 8,9 p par litre, et des charges complémentaires (?) variant de 12 p et 18 p par litre (ndlr : 100 pence = 1 livre ; le mot pence est invariable ; il faut environ 2500 litres de propane par an pour chauffer une maison)
Et le présentateur télé, tombant de la lune, de déclarer tout de go devant les téléspectateurs : « C’est fou ! Cela veut dire que la facture de chauffage d’un résident peut varier de plus de 500 £ sur une année pour des quantités identiques. Ca dépasse l’entendement ». Eh oui, cher Dom, ca dépasse effectivement l’entendement. Mais ce qui dépasse le plus l’entendement , c’est le fait que les pouvoirs publics trouvent cette situation normale.
Janet Hobbs expliqua ainsi sa démarche devant les caméras « Je pense que Flogas nous traite avec mépris. Ils espèrent simplement qu’on va en rester là et baisser les bras ».
Les caméras de télévision ne se sont pas contentées d’interroger les propriétaires de la résidence de Janet Hobbs à Kings Meadow. Elles ont aussi sillonné les rues de Winkleigh pour recueillir les témoignages sur cette arnaque au gaz qui gagne à être connue du grand public. Le site Internet de la boite de production de Dominic Littlewood raconte la suite de l’histoire « Et devinez qui payait le plus cher dans le village ? Dom a découvert que la plus ancienne résidente du village, Veronica Williams, 80 ans, paye le gaz au prix le plus élevé, 52 pence par litre. Alors Dom, furieux, a mobilisé toute la communauté …. ». Une réunion publique fût organisée afin que tout les villageois concernés soient mis au courant de l’affaire.
Alertés par la forte odeur de gaz dégagée par cette affaire sur le point d’éclater sur la place publique, les patrons de Flogas prirent la décision de fermer les vannes. Au lieu de continuer à essayer de légitimer les différences de prix entre consommateurs, le propanier fit amende honorable en moins de temps qu’il n’en faut pour couper le gaz à un mauvais payeur. L’entreprise offrit illico à tous les villageois le même contrat de gaz, leur garantissant à TOUS le même prix du GPL au niveau le plus bas constaté dans le village, soit 33 pence le litre jusqu’à la fin de l’hiver. Flogas en profitait par la même occasion pour égaliser le montant de tous les frais et commissions accessoires contenus dans tous les contrats. Lorsqu’il y a le feu à la citerne, le propanier sait qu’il convient de ne pas lésiner sur les moyens anti-incendie !
Et les moyens, Flogas en a visiblement beaucoup plus que ce qu’il laisse entrevoir au pauvre consommateur esseulé incapable d’argumenter face à un service client rébarbatif. Lisez bien ce qui suit car le cadeau supplémentaire qui a été fait à ces villageois est du jamais vu : Flogas décida d’un coup de baguette magique que tous les contrats se termineraient à la même date, permettant ainsi aux villageois de renégocier à l’avenir leur prochain contrat de gaz collectivement afin d’obtenir les meilleurs conditions possibles (rappel 1 : les contrats de gaz propane en Grande Bretagne ne peuvent excéder 2 ans contre 5 ans en France ; rappel 2 : le changement de propanier n’entraîne pas de remplacement de la citerne en GB, contrairement à ce qui se passe en France, ce qui facilite considérablement le changement de fournisseur notamment lorsqu’il s’agit de coordonner le remplacement de 100 citernes à la fois).
Morale de l’histoire selon Janet Hobbs « Cela montre ce qui peut arriver, lorsque les gens se rassemblent. Ca a bien marché pour nous, et je ne m’attendais pas à ce que nous arrivions à un si bon accord. Cela a demandé beaucoup de travail. J’ai persévéré parce que les raisons avancées par Flogas n’étaient que des contes de fée. Pour moi la situation était injuste».
Suite à cette affaire, les villageois ont fait circuler une pétition adressée au député local, Geoffrey Cox, appelant à une transparence des prix du propane et à la nomination d’un régulateur chargé de contrôler les pratiques des gaziers, de manière à obtenir les mêmes protections que les consommateurs de gaz naturel. Réponse de l’homme politique (cité par la presse locale) : «C’est une excellente pétition. Personne ne devrait être mis dans la situation de devoir choisir entre chauffer sa maison et manger à sa faim…. » Avec une réponse pareille, nul doute que le député aurait impressionné le jury d’entrée à l’ENA. Cinq ans plus tard, la pétition dort toujours dans le tiroir de Mr Cox.
Dans son numéro trimestriel rédigé et publié au moment de la chute historique du cours du propane de l’hiver dernier, le bulletin municipal de Winkleigh relate les conditions de la dernière négociation de prix avec Flogas:
« Suite à une réunion récente avec le responsable régional des ventes de FLOGAS, un nouveau prix valable pour deux ans a été négocié. Au 1er Janvier 2015, le prix du GPL sera de 41.0 pence par litre, plus TVA (soit 0.577 €/litre ou 1120€ HT la tonne), prix fixe pour une période de 12 mois. Toute augmentation de prix durant la seconde année n’excédera pas 2.5 pence plus TVA par période de 6 mois. Il y a aussi une clause permettant la renégociation après 12 mois si les prix du marché sont orientés à la baisse. Les villageois utilisant FLOGAS comme fournisseur – un peu plus de 160 foyers – vont tous recevoir le même contrat dans les prochains jours. Les villageois utilisant le propane vrac non clients de FLOGAS peuvent aussi bénéficier de l’accord en contactant FLOGAS directement ».
Il semblerait donc que les habitants de Winkleigh continuent de faire bloc face au propanier qui abusait naguère de sa position dominante pour opérer des discriminations de prix infondées. On ne peut que les féliciter pour leur engagement en faveur de leur communauté.
Les pratiques de Flogas et des grands propaniers en matière de discrimination arbitraire sur les prix sont ni plus ni moins les mêmes que celles qui ont valu à Gazprom les griefs de la Commission Européenne en avril dernier. A ceci près qu’il existe de gigantesques différences de volume de consommation annuelle de gaz naturel entre Etats européens permettant de rendre compte d’éventuelles différences de prix de vente unitaire, alors que les consommateurs discriminés chauffent leur pavillon avec la même quantité de GPL, ce qui rend ces discriminations beaucoup plus suspectes et contestables que celles dénoncées par la Commission. D’autant plus que l’ampleur même des discriminations de prix inter-étatiques relevées par la Commission pour le gaz naturel (+/- 20 % selon les Etats) est, en valeur relative, largement inférieure à celle qui peut être constatée dans un même village en France ou en Grande Bretagne auprès d’un même fournisseur de GPL.
La comparaison n’est pas sans fondement, le raisonnement pouvant d’ailleurs être poussé un peu plus loin. Lorsque les Etats clients de Gazprom sont empêchés de se revendre le gaz naturel entre eux (dans le but d’opérer des péréquations tarifaires entre Etats favorisés et défavorisés), les clients des propaniers qui ne possèdent pas leur propre citerne de gaz, c’est à dire la quasi totalité des consommateurs français et anglais, sont contractuellement empêchés de s’échanger du gaz entre eux. Pour un tas de raisons qui se résument principalement à l’insuffisance d’acheteurs libres (et non à des dispositifs réglementaires), il est en effet impossible à un acheteur de GPL désireux d’aider un autre consommateur moins avisé que lui, de louer ou d’affréter un camion de gaz (avec ou sans chauffeur) pour transvaser le contenu de sa propre citerne dans la citerne de son ami afin de lui faire profiter de son tarif préférentiel, quand bien même cette opération pourrait s’avérer financièrement rentable (on ajoutera qu’en France, vu les arbitrages existants, une telle activité menée à large échelle pourrait même s’avérer extrêmement lucrative !). La difficulté technique et l’impossibilité contractuelle de réaliser de tels arbitrages entre particuliers est la raison principale des abus et discriminations de prix constatés depuis des décennies sur le marché domestique du gaz en citerne : si les particuliers pouvaient simplement transvaser le gaz liquéfié d’une citerne à une autre à l’aide d’une simple durite, et si le contrat signé ne les empêchait pas de réaliser cette opération, le marché du GPL ne connaîtrait pas de tels dysfonctionnements.
On se demande bien pourquoi, dans ces conditions, la Commission Européenne ne s’est jamais intéressée aux écarts de prix existants sur les différents marchés du GPL de chauffage en Europe, en ce que ces écarts pourraient trouver leur origine dans l’efficacité des pratiques anti-concurrentielles mises en oeuvre au niveau national par des firmes transnationales présentes simultanément sur divers marchés européens. A l’image de ce qui est en somme reproché aujourd’hui à Gazprom.