Un « ilôt propane » est un réseau de propane en canalisations desservant un village ou un groupe d’habitations alimentés en gaz par une ou plusieurs citernes à usage collectif. Quels que soient le propriétaire du réseau de canalisations ou les montages juridiques mis en place, la seule chose qui importe aux yeux des propaniers est de garder la propriété des réservoirs alimentant ces réseaux. De fait, nos chers propaniers possèdent en France la quasi-totalité des citernes collectives approvisionnant résidences ou villages non desservis par le gaz naturel. Et ils signent de juteux contrats avec les promoteurs immobiliers ou les mairies pour approvisionner une clientèle captive sur la base de contrats exclusifs d’une durée de 30 ans. Le délégataire public ou le promoteur ne pouvant exiger la protection du droit de la consommation au bénéfice de ses administrés ou de ses clients, il ne saurait être question ici de contrats de 5 ans : le propanier exige de pouvoir amortir ses frais sur les durées les plus longues possibles. Et puisque les sociétés autoroutières ne se gênent pas pour demander (et obtenir) de l’Etat des concessions de 50 ans ou plus, les propaniers auraient tort de se contenter d’une rente de 10 ou 15 ans dès lors qu’ils se trouvent face à une équipe municipale prête à signer n’importe quel contrat pour éviter d’avoir à réfléchir sur les lendemains qui déchantent.
N’ayant pas eu la possibilité, jusqu’à présent, de pouvoir éplucher un de ces contrats (je parle du contrat principal entre la collectivité et le propanier et non du contrat secondaire entre le résident et le propanier) je ne sais trop ce qu’on peut y trouver en matière de clauses abusives. J’imagine que la situation diffère d’un contrat, et donc d’un propanier, à l’autre. Mais ce qu’on lit dans la presse américaine au sujet d’accords cachés entre propaniers et promoteurs immobiliers donne un petit aperçu de la question : rendus captifs de clauses secrètes coulées dans le béton d’un monopole privé, copropriétaires et villageois finissent immanquablement par se faire plumer. Il est vrai que nos propaniers ont toujours su tendre une oreille intéressée aux promoteurs et autres prescripteurs généreusement commissionnés en proportion même de leur indélicatesse. L’absence de formules écrites, précises et contraignantes, limitant les variations de prix de vente du propane par rapport à un indice de marché, a toujours été la règle implicite des contrats de fourniture de propane. Ce refus de jouer cartes sur table permet aux propaniers d’augmenter petit à petit leur marge sans éveiller l’attention des consommateurs. C’est exactement ce qui est arrivé ces dernières années à des milliers de familles texanes ayant acheté leur pavillon dans le cadre de vastes projets de développement immobilier appelés là-bas « community » (le terme américain exact est « master planned community » ce qui peut se traduire par «communauté planifiée selon un schéma directeur »)
Il ne sera pas question dans cet article, de relater la manière dont les représentants élus de l’assemblée législative du Texas ont mis un point final aux dérives de prix constatées dans les nombreuses communautés de l’Etat, dérives typiques de ces monopoles privés échappant au contrôle de la puissance publique. Ceci fera l’objet d’un article ou d’un épisode ultérieur. On ne parlera ici que de quelques clauses abusives dans les contrats secrets signés entre promoteurs et propaniers, contrats dont les principaux intéressés, les futurs résidents, ignoraient les détails au moment d’acquérir leur future maison.
L’histoire qui suit oppose donc actuellement les citoyens d’un complexe résidentiel de haut standing dans la banlieue d’Austin (Texas), la communauté Belterra, avec leur fournisseur exclusif de propane, la société Texas Community Propane. Les deux leaders de cette « bronca » , Larisa Bourgeois et Amanda Stanley, ont réussi à réunir dernièrement des centaines de familles vivant dans cette communauté pour collecter l’argent nécessaire au défraiement d’un avocat spécialisé afin de monter une action collective contre ce propanier.
Ces résidents ne sont pas seulement énervés par le prix plus élevé du propane dans leur communauté. Ils s’insurgent contre ce qu’ils appellent le « deal secret ». Selon eux, au moment de prendre possession de leur maison, « on » a oublié de leur communiquer un papier parmi les titres de propriété. Ce papier les engageait sans qu’ils le sachent à se fournir auprès de Texas Community Propane (TCP) pendant de longues années. Car il existe un contrat secrètement signé entre le promoteur, Eric Willis, et les actionnaires de TCP, contrat dont ils ignorent toujours les termes exacts.
Les journalistes de la chaîne locale d’informations KXAN ont pu se procurer une copie du contrat signé entre Willis et Barton Prideaux, propriétaire de Texas Community Propane (TCP). Ce contrat a une durée de 30 ans et il est automatiquement renouvelable. Non seulement il dicte aux habitants de Belterra le fait d’utiliser le propane comme source d’énergie, mais il les oblige en outre à ne s’approvisionner en propane que par l’intermédiaire de TCP. Imaginez la tête que vous feriez si, après avoir acheté votre maison, quelqu’un venait vous dire que vous ne pourrez jamais changer de fournisseur d’énergie. Le contrat prévoit que si la communauté devait choisir de rompre les liens avec TCP et se passer de leurs services, cela ne pourrait se faire sans l’accord de TCP. Un scénario improbable dans une communauté prévue pour accueillir (à terme) deux mille familles !
Le contrat exige aussi des résidents une « indemnité de fin de contrat » : si un résident veut convertir sa maison au gaz naturel ou à l’électricité, il doit envoyer un courrier recommandé à TCP, et doit payer une indemnité comprise entre $950 et $1500.
Le propriétaire de TCP, Barton Prideaux, a refusé de parler aux journalistes de la chaîne de télévision locale mais il leur a envoyé un e-mail où il dit en substance :
« L’indemnité de fin de contrat est perçue pour couvrir partiellement la perte de revenus liés à l’infrastructure déjà installée et les coûts de propriété liés à cette infrastructure. Bien qu’un client puisse cesser d’utiliser le propane, les obligations de notre société ne cessent pas pour autant, ni les coûts liés à la propriété des conduites de gaz et autres services attachés à la résidence de ce client. Certaines de nos obligations incluent les coûts de localisation, des coûts de mise en conformité avec la réglementation fédérale et celle du Texas (par exemple études de fuites, surveillance de canalisation…) et une astreinte 24/7 en cas de fuite ou de réparation (les fuites de gaz surviennent même lorsque le client n’utilise plus le gaz) »
Prideaux a refusé de répondre aux questions posées par les journalistes suite à la réception de ce mail. Quant au promoteur Eric Willis, il n’a donné suite à aucune des demandes d’interview de la part des journalistes.
Voilà ce qu’en pense Jason Isaac, député du coin à la Chambre des représentants du Texas, et républicain conservateur : « C’est un monopole de droit privé. Il y en a au Texas, mais ils sont régulés par la Commission des services publics». Isaac, avec Paul Workman, un autre représentant républicain de la ville d’Austin, a été la cheville ouvrière d’une loi qui plafonne depuis peu au Texas la profitabilité des propaniers en situation de monopole local. Selon ladite Commission, TCP a bien fait payer le propane à ses clients en respectant le taux de marge brute maximum imposé par la loi, mais ses prix de vente sont quand même considérablement plus élevés que ce qu’un consommateur voisin, habitant en dehors du complexe, est susceptible d’obtenir.
« Les prix du propane dans certaines communautés sont redescendus depuis que la nouvelle loi est passée, mais cela n’a pas été le cas à Belterra » dit Isaac. Les journalistes ont comparé les prix dans plusieurs communautés desservies par des propaniers monopolistes et ont trouvé des prix 25 % plus élevés à Belterra. Pourtant toutes ces communautés disposent d’un accès identique au gaz propane : elles sont situées au Texas, l’Etat qui possède les réserves de propane les plus importantes au monde. Par rapport à d’autres communautés chauffées au gaz naturel et disposant d’habitations de taille comparable à celles de Belterra, le coût du chauffage à Belterra apparaissait 5 fois plus élevé.
Certains résidents de Belterra convertissent donc leur habitation à l’électricité alors que d’autres économisent pour se payer les services d’un avocat afin de se battre contre TCP. Les nouvelles maisons en construction dans la communauté sont désormais prévues pour avoir le gaz naturel au lieu du propane. Le nouveau promoteur immobilier de Belterra, la société Crescent Communities, a contacté récemment la chaîne de télévision locale pour lui faire passer le message suivant :
« En tant que nouveau développeur de la Communauté Belterra, nous n’avons participé dans aucun accord, et n’avons signé aucun accord de partage de droits ou de revenus avec aucun fournisseur actuel ou potentiel d’énergie dans la région d’Austin, y compris avec Texas Community Propane. Nous ne pouvons pas faire de commentaires sur les accords antérieurs signés avec le promoteur précédent, accords qui auraient pu être établis avant l’acquisition de Belterra par Crescent Communities en Octobre 2013 »

Echange maison dispendieuse à Belterra chauffée au propane, contre tiny home chauffée uniquement par la chaleur humaine.
Dans les forums Internet alimentés par les habitants de ces communautés et par ceux qui se renseignent avant d’acheter, on se surprend à lire des témoignages qui ressemblent étrangement à l’expérience des consommateurs français avec leurs propres propaniers (les guillemets dans le texte qui suit ne sont pas du rédacteur).
« J’étais habitué aux sociétés de gaz naturel….. et lorsque j’ai déménagé dans la communauté, ils m’ont rendu un peu nerveux au début. Leur « procédure » laisse un peu à désirer, et leur technicien qui est venu à la maison pour « m’éduquer » voulait à nouveau me faire remplir toute leur paperasse avec mes infos personnelles, y compris mon permis de conduire et mon numéro de sécurité sociale ! Comme j’avais déjà tout donné au service client, j’ai refusé de le faire à nouveau…. En tout cas ne soyez pas en retard pour payer vos factures – pour une raison ou pour une autre, ce fournisseur est très sensible aux retards de paiement. Je ne vois pas d’explications autre que de supposer que leur clientèle a l’habitude de payer en retard. En tout cas c’est l’impression qu’ils donnent au téléphone. Le résultat, c’est que le langage qu’ils utilisent en répondant à leur client est plutôt «accusatoire». En tout cas c’est mon impression. C’est vraiment bizarre. J’étais en retard une fois parce que j’avais dû partir à l’étranger et en fait, je me suis senti obligé, presque forcé d’expliquer cela à la femme au téléphone du fait du « ton » qu’elle utilisait pour me parler….et elle n’avait rien à faire de mes explications. Donc si vous êtes chez TCP, ne soyez pas en retard dans vos paiements pour quelque raison que ce soit. Sinon, vous allez droit au conflit »
Cet autre témoignage livre une partie du mystère sur les accords secrets entre promoteurs et propaniers :
“ Les syndics de copropriété ( “HOA” en anglais pour HomeOwners’ Association) sont connus pour restreindre la liberté des affaires. Les propriétaires n’ont aucun contrôle sur la qualité, la quantité ou le prix du propane. Les clauses restrictives ont été écrites par les propaniers de manière à s’assurer que ceux –ci n’auront aucune obligation bilatérale vis-à-vis du propriétaire. En plus du prix à la tonne ou au litre, on exige des propriétaires qu’ils paient mensuellement une commission de compte pour avoir le privilège d’être un de leur client.
La Commission de régulation qui s’occupe des propaniers au Texas, les oblige à assurer la responsabilité en cas de pépin sur toute la longueur de la canalisation jusqu’au raccordement de l’appareil domestique. Donc l’argument de TCP selon lequel ils seraient soumis à des obligations particulières justifiant d’un prix plus élevé dans les communautés est bidon : que tu reçoives ton gaz depuis une citerne installée dans ton jardin, ou depuis une citerne collective située à 2 km de ta maison ne change rien à l’affaire. La plupart des monopoles privés, cependant, essaient de nier leur responsabilité au-delà du compteur de gaz en utilisant des contrats d’approvisionnement que les propriétaires n’ont pas d’autre choix que de signer. Le principe de la responsabilité juridique limitée au compteur n’est valable que pour le gaz naturel, mais pas pour le propane (ndlr : ce n’est pas le cas en France). Néanmoins certains fournisseurs essaient de se débarrasser de leur responsabilité.
Dans certaines communautés contrôlées par les promoteurs, vous n’avez même pas le droit d’avoir votre propre citerne pour échapper au monopole : soit cette interdiction figure en toutes lettres dans le règlement de copropriété, soit le promoteur utilise hypocritement le contrôle dont il dispose au sein du comité d’architecture pour refuser d’accorder aux propriétaires le droit d’enterrer leur propre citerne dans le jardin. La raison en est très simple : des accords secrets avec les propaniers permettent aux promoteurs de toucher une part sur les ventes de gaz passant dans les conduites du complexe résidentiel. »