En envoyant une fin de non-recevoir aux deux députés qui demandaient comment améliorer les conditions de la concurrence dans le propane sur le marché français, le gouvernement vient de démontrer qu’il a plus à cœur de défendre les intérêts de la corporation des gaziers que le budget des consommateurs de propane, malgré les abus permanents dont ces derniers continuent d’être les victimes. La loi Hamon entrée en vigueur en octobre dernier aurait dû en principe sonner le glas des abus des propaniers, et commencer à inverser le rapport de force avec les consommateurs. Ce fût une occasion manquée. A la lumière de la réponse que le Ministère de l’Industrie vient d’apporter aux questions des députés ( lire ici la réponse et lire les explications dans les archives du site dans la catégorie « Députés »), on comprend un peu mieux pourquoi : ce gouvernement n’a jamais eu l’intention d’accroître le niveau de concurrence dans la distribution du propane vrac, ni de faire baisser le niveau de la rente des propaniers français. A peine a-t-il voulu corriger un des abus les plus manifestes, en interdisant les contrats d’approvisionnement en propane vrac d’une durée supérieure à 5 ans. Que des multinationales puissent vendre le propane aux consommateurs français deux fois plus cher que dans les pays voisins, pourtant approvisionnés par les mêmes voies maritimes et par les mêmes tankers, indiffère visiblement le gouvernement.
Je dis « visiblement » car on ne peut préjuger du caractère abracadabrant d’une décision (ou, dans le cas présent, d’une réponse à une question écrite), sur la seule foi de ce que l’on croit savoir. Dans toute décision gouvernementale, il y a des raisons avouables et d’autres moins avouables, ces dernières pouvant être tout aussi légitimes que les premières. Il n’est pas impossible que le gouvernement puisse actuellement faire en sorte de favoriser les conditions de la cession de Totalgaz, tant que celle-ci n’est pas définitivement gravée dans le marbre. Auquel cas il serait pour le moins indélicat vis-à-vis du futur repreneur de changer dès maintenant le cadre d’exercice de la concurrence entre propaniers installés dans l’hexagone.
Il n’en reste pas moins que la réponse du Ministère est inacceptable tant du point de vue des consommateurs que des règles et des principes même de la concurrence. Relisons d’abord la question des députés, puis la réponse du Ministère. Nos deux députés, Mrs Alauzet et Giraud, demandent comment il est possible pour les propriétaires de citerne de gaz de mettre les propaniers en concurrence puisque ces derniers refusent de se contenter d’approvisionner ces citernes et imposent, en sus de la livraison de gaz, un contrat d’entretien exclusif sur ladite citerne. La réponse emberlificotée du Ministère est la suivante : étant donné que certains propaniers indépendants acceptent d’approvisionner des propriétaires de citerne exploitant eux-mêmes leur propre citerne, il n’est pas anormal de considérer que, dans le même temps, d’autres propaniers puissent refuser aux propriétaires le droit d’exploiter eux-mêmes leur citerne en raison « des contraintes liées à la logistique de la fourniture de GPL et des questions de sécurité liées à l’entretien et à la maintenance de la citerne ». Les consommateurs n’ont donc pas de raison de se plaindre et tout va très bien, madame la marquise. Bien entendu, le fait que les propaniers qui acceptent de servir des propriétaires exploitant leur propre citerne, ne desservent en réalité que 7 % du territoire français ne semble pas gêner le Ministère. Tant pis pour les 93 % restants et notamment les citoyens du Doubs et des Hautes Alpes à l’origine de l’interpellation du gouvernement.
Nous voilà donc revenu aux pires heures du cartel du propane, lorsque les propaniers prétendaient qu’il était impossible de séparer le contrat de fourniture de gaz du contrat de mise à disposition du réservoir pour des raisons de sécurité. Depuis que les consommateurs peuvent acheter les citernes de gaz, les propaniers ont construit une autre ligne de défense pour parer à l’effet d’aubaine que n’aurait manqué d’entraîner la nouvelle selon laquelle les propriétaires de citerne peuvent désormais acheter le gaz beaucoup moins cher que les non-propriétaires. Il fallait impérativement continuer à démotiver les utilisateurs de propane afin qu’ils n’achetassent point lesdites citernes. Cette nouvelle ligne de front repose sur la prétendue impossibilité de séparer la fourniture de gaz et l’entretien de la citerne, toujours, bien évidemment, pour des raisons de sécurité. Et le gouvernement de reprendre à son compte ces balivernes. Gageons qu’il s’agit de la dernière reculade des propaniers avant leur débandade générale.
Pour bien montrer le ridicule de la position défendue par les propaniers avec, cette fois-ci, le soutien officiel du Ministère de l’Industrie, nous allons faire une analogie entre un propriétaire de citerne de gaz et un propriétaire d’automobile souhaitant faire le plein de leur réservoir. La voiture ayant tué en France 3388 personnes en 2014 (propriétaires et locataires de véhicules confondus) contre 0 morts chez les utilisateurs de citerne vrac, nul ne contestera que les voitures sont statistiquement infiniment plus dangereuses que les citernes de gaz. Et pourtant voilà comment sont réellement traités les propriétaires de citerne de gaz en France :
Imaginez que vous êtes au volant d’un véhicule-citerne fonctionnant au GPL comme celui ci-dessous, photographié sur le Tour de France en 1962 (gagné par Jacques Anquetil devant Planckaert et Poulidor).
Vous roulez donc dans votre drôle d’engin, sur l’autoroute, quelque part entre Bordeaux et Toulouse. Votre jauge de gaz indique que vous devez faire le plein de propane rapidement. Par chance vous tombez pile sur une station service TROTARGAZ. Vous prenez donc la bretelle d’accès à la station service avec votre véhicule-citerne, mais vous êtes bloqué par une barrière tenue par un vigile. La discussion démarre :
- Le vigile : « Bonjour , vous souhaitez faire le plein dans notre station ? Pouvez-vous me montrer le contrat d’entretien de votre véhicule s’il vous plait ? »
- Le conducteur « Je suis propriétaire de ma citerne, et je l’entretiens moi-même. Voici la preuve que mon véhicule est entretenu (le conducteur tend les preuves du contrôle technique de sa citerne au vigile). J’ai donc le droit de faire le plein où je veux »
- Le vigile : « Pas chez nous , désolé, nous n’approvisionnons que les véhicules qui sont contrôlés à travers notre réseau Trotargaz »
- Le conducteur « Mais enfin, c’est ridicule , Trotargaz n’est même pas habilité à faire la révision principale des véhicules. Vous ne pouvez pas obliger les propriétaires à signer des contrats d’entretien avec vous, alors que vous-même sous-traitez ces opérations à des tiers. C’est une arnaque, une escroquerie. Un abus de pouvoir manifeste. »
- Le vigile « C’est ainsi Monsieur. Si vous n’êtes pas content, vous pouvez toujours aller voir ailleurs. Personne ne vous oblige à vous arrêter dans notre station-service. D’ailleurs le ministère de l’Industrie vient de confirmer que nous avons le droit de procéder de la sorte, même si, au demeurant, rien dans la réglementation des citernes de gaz ne nous y oblige. C’est comme ça. C’est la France. Au revoir, Monsieur. »
Le conducteur, dépité, reprend le volant de sa citerne. Par chance il tombe sur une autre station-service quelques kilomètres plus loin. C’est une station Anthraxgaz. L’entrée de la station est barrée par un autre vigile. Le dialogue s’engage à nouveau.
- Le deuxième vigile « Désolé, sans contrat d’entretien avec Anthraxgaz, vous ne pouvez pas faire le plein chez nous »
- Le conducteur, sans s’énerver (il est français, donc amplement vacciné contre ce type d’arnaques) «Dans ce cas, pouvez-vous m’indiquer une station-service où je pourrais faire le plein librement ? Je suis bientôt à court de GPL……. »
- Le vigile : «Essayez voir un peu plus loin sur l’autoroute, il y a d’autres stations. Sinon la prochaine fois que vous irez en Allemagne, pensez à faire le plein avant de revenir en France. En Allemagne, lorsque vous êtes propriétaire de votre citerne, vous êtes réellement libre. Ce n’est pas une liberté factice. En France, vous savez bien, la concurrence c’est juste fait pour écraser ou soumettre les petits. Pas pour déranger les gros bonnets »
Notre conducteur, qui avait pris soin de garder un peu de GPL carburant dans son réservoir, essaye tout de même une troisième station PRIMALAGAZ puis une quatrième station BIDOGAZ. Toujours le même refus, toujours la même explication. Finalement dans la cinquième station-service, à l’enseigne BRUTAGAZ, le vigile, un peu plus utile que les autres, se hasarde à faire une confidence « Monsieur, j’ai entendu parler qu’il y a près de Paris une station-service gérée par un groupement de consommateurs qui remplit les réservoirs des propriétaires de citerne sans exiger de contrat d’entretien sur votre véhicule. Je pense que c’est la station-service que vous cherchez. Mais en attendant je vois que votre jauge est dans le rouge et je crains fort que vous n’ayez maintenant plus assez de gaz dans votre réservoir pour vous rendre jusque là-bas. Tenez .. » enchaîne le vigile en tendant au conducteur un stylo et une liasse de 10 pages imprimées en petits caractères « … je vous propose le contrat Brutagaz Super Privilège spécialement conçu pour les propriétaires de citerne comme vous. Signez donc ce contrat exclusif pour 5 ans et je vous laisserai faire le plein de votre citerne dans notre station sévice …… »
C’est exactement cela que propose le Ministère de l’Industrie aux propriétaires de citernes, et c’est totalement ubuesque. C’est non seulement ubuesque mais aussi contraire à la décision des juges du TGI de Grenoble sur le sujet ( UFC contre Antargaz , jugement du 6 mai 2013) . Dans leur décision, les magistrats écrivaient :
» ……l’article L 122-1 du code de la consommation empêche sans conteste la société Antargaz de s’imposer comme prestataire de cet entretien lorsque le client possédait d’ores et déjà son réservoir, sous prétexte de la signature du contrat de fourniture de propane. Aucun motif de sécurité n’impose que ces deux prestations soient liées, le client propriétaire de son réservoir peut parfaitement s’adresser à un autre professionnel pour en assurer l’entretien. »
Et les magistrats de conclure fort logiquement que la clause du contrat d’approvisionnement par laquelle le client Antargaz ne peut s’opposer à ce que la réépreuve décennale soit réalisée sous l’égide exclusive du propanier est ILLICITE.
Donc le ministère de l’Industrie vient d’adresser à nos deux vaillants députés une réponse ILLICITE en ce qu’elle ne considère pas comme illicite une clause contractuelle considérée comme illicite par les juges de Grenoble !
C’est pourquoi il est impossible que les choses restent en l’état. La situation évoluera forcément. Il reste maintenant à imaginer les voies de défense les plus efficaces contre ces abus tolérés par les pouvoirs publics : soit une nouvelle concurrence, soit de nouveaux procès devant les tribunaux. Ou les deux à la fois. En créant le Groupement Propane Libre en 2010, nous savions qu’il ne fallait pas attendre de convaincre les autorités avant d’agir. Que la concurrence était certainement la voie la plus rapide pour obtenir le résultat escompté. Le Groupement Propane Libre a démontré une fois de plus qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Puisse t’il faire naître d’autres vocations dans les mois à venir.
Mon conseil aux propriétaires de citernes : en attendant que les choses se décantent, si vous êtes obligé de signer un contrat avec un propanier, n’acceptez de signer que des contrats d’une durée maximum d’un an (faites savoir à la DDCCRF et à l’ADECOPRO si votre propanier refuse de signer pour cette durée) et profitez de chaque nouvelle offre réservée aux nouveaux clients pour changer de crèmerie.
Il serait important qu’un article bien ficelé de l’ADECOPRO rende compte aux grands médias de la reponse du ministre afin de mettre le gouvernement devant ses responsabilités. Les usagers du GPL en vrac(et les autres)doivent être informés du pourquoi présumé d’un tel refus. JML