Paris le 29/09/ 2014
Cher Monsieur Lasserre,
En vertu du principe de subsidiarité, la Commission Européenne vient de vous remettre pour avis et/ou décision, le dossier du rachat de Totalgaz par Antargaz, deux des leaders français du GPL. Si l’Autorité devait valider ce rachat, Antargaz détiendrait quasiment 50 % du marché français du GPL en citerne à lui seul (hors GPL carburant).
Le rapport rédigé par vos services en Janvier 2014 éclaire parfaitement les enjeux concurrentiels d’un tel rapprochement. La concurrence est très faible sur le marché du propane vrac à usage domestique ou industriel, du fait des contrats d’exclusivité de longue durée imposés aux clients. En organisant les professions associées à la distribution de propane autour de leurs seuls intérêts, les propaniers ont constitué un vaste oligopole détenteur de l’ensemble des capacités de stockage en France. Ils ont réussi par ce biais à imposer des conditions commerciales notoirement abusives à la totalité de leur clientèle française, à l’exception d’une infime minorité de propriétaires de citernes ayant la possibilité de s’approvisionner en dehors des circuits ordinaires.
Confrontés à des situations locales bien moins dramatiques, vos collègues anglais et allemands ont pris des mesures draconiennes pour rétablir les conditions d’une saine concurrence entre distributeurs. Malgré le tableau accablant de la situation française dépeint dans votre rapport, vous avez fait le choix de ne pas user des pouvoirs qui vous ont été conférés, et de ne prendre aucune décision susceptible de contrarier les membres du Comité Français du Butane et du Propane (la vitrine officielle du cartel), laissant ce soin au gouvernement. Ce dernier préparait alors la future loi Consommation, laquelle prévoyait d’intégrer des dispositions spécifiques pour les contrats de fourniture de GPL.
Il ne vous aura pas échappé que l’Autorité a ainsi raté une occasion formidable de résoudre efficacement le problème de l’absence de concurrence sur ce marché. Car la loi Consommation n’a finalement réalisé aucune avancée véritable pour le consommateur de propane si ce n’est raccourcir la durée maximale des contrats de fourniture à 5 ans (ça reste trop long !), et lui donner la possibilité d’intenter une action de groupe contre les propaniers. Tout reste donc à faire pour rétablir ou plutôt établir (car elle n’a jamais existé auparavant) une véritable concurrence dans la distribution du gaz en citerne.
Le dossier de rachat de Totalgaz par Antargaz vous offre aujourd’hui une seconde chance de signifier aux propaniers qu’ils ne peuvent plus se moquer de leurs clients. Il serait dommage de la laisser passer sans agir. De quelle manière pouvez vous agir ?
Il vous est demandé d’examiner dans quelle mesure, le futur Antargaz, auquel auront été joints les actifs de Totalgaz, sera en position d’exercer un pouvoir de marché tel que la concurrence pourrait en être faussée sur l’un ou l’autre des différents segments de marchés du GPL. En ce qui concerne spécifiquement le gaz distribué en citernes, la réponse est dans la question : sauf décision de votre part de changer les règles du jeu, il n’y aura pas plus de concurrence demain, dans un oligopole réduit à 4 distributeurs, qu’il n’y a de concurrence aujourd’hui dans un oligopole à 5. Toutes choses égales par ailleurs, le rachat de Totalgaz par Antargaz ne présente donc guère de risques de restreindre une concurrence………….. inexistante.
Ce qui pourrait en revanche réellement élever le niveau de concurrence sur ce marché, ce serait une décision de l’Autorité d’accorder à tous les clients d’Antargaz -y compris les anciens Totalgaz – la possibilité de racheter la citerne installée à leur domicile ou dans leur entreprise, à des conditions financières préalablement visées par votre Autorité. Cette décision permettrait à un certain nombre de clients d’Antargaz de s’affranchir du lien exclusif avec leur fournisseur et de goûter pour la première fois à la concurrence. Il s’agirait de rebattre les cartes sur un marché sclérosé par des contrats de longue durée.
Je vois plusieurs avantages à une telle décision :
- Dans la majorité des cas où le rachat ou la fusion entraine un risque d’abus de position dominante par la nouvelle entité, votre Autorité décide, de manière plus ou moins directive ou arbitraire, d’imposer à l’acheteur de se séparer d’une partie de ses actifs industriels. La solution que nous préconisons ne présente, elle, aucun caractère directif ou arbitraire. Il vous suffit de prendre la décision de rendre leur liberté d’achat aux clients Antargaz et Totalgaz. C’est le client qui, détenant un actif Antargaz dans sa propriété (le réservoir), décidera du sort de cet actif en choisissant de le racheter, ou en en laissant la propriété au propanier. Si, à la suite de cette opération de pure transparence commerciale , Antargaz était obligé de céder 2 ou 3 ou 5 % de ses citernes à ses clients, la position dominante de la future entité en serait réduite d’autant, ce qui servirait le but recherché. Cette proposition n’est pas exclusive d’une décision concomitante concernant la réduction du nombre d’installations industrielles détenues par Antargaz après le rachat. Elles sont strictement de même ordre : les citernes de gaz représentent des actifs d’exploitation (certes financés par les cautions versées par les clients) au même titre qu’un dépôt de gaz ou un centre remplisseur. Pas plus pour la cession forcée d’ installations industrielles que pour la cession forcée de réservoirs individuels, il ne saurait y avoir, dans le contexte de l’examen du rachat de Totalgaz, de contestation sur le caractère « inconstitutionnel » d’une mesure visant à aliéner la propriété des réservoirs sans l’accord du propriétaire, comme cela a notamment été avancé par Antargaz dans les différents procès intentés par les associations de consommateurs.
- Si vous interrogez la DGCCRF, elle vous dira qu’elle a vainement essayé par le passé, d’imposer à Antargaz de céder ses citernes dès lors que des clients lui en faisaient la demande. Et je tiens à votre disposition des dizaines et des dizaines de demandes de ce type, toutes refusées par Antargaz. Il n’est pas inutile de noter que parmi les 4 grands propaniers disposant de plus de 10 % du marché du propane vrac, Butagaz et Primagaz acceptent d’ores et déjà de céder leurs citernes à leurs clients. Seuls Antargaz et Totalgaz s’y sont toujours refusés. La disparition de Totalgaz laisse Antargaz seul et isolé dans sa position de refus de redonner leur liberté aux acheteurs en acceptant de leur vendre les citernes installées. Vous disposez donc là d’un moyen de pression formidable pour obtenir aujourd’hui d’Antargaz ce que la DGCCRF n’a jamais pu obtenir.
En vous remerciant pour votre attention, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération.
Pour l’Adecopro,
Son président.