Butagaz, leader en France sur le marché du gaz en citerne (petit vrac et gros vrac) a annoncé ce vendredi avoir lancé trois nouvelles offres commerciales à prix maîtrisés ou bloqués dans le cadre d’une stratégie de conquête de nouveaux clients dans le propane vrac domestique. Cette annonce est d’autant plus étrange qu’elle arrive quelques jours seulement après la publication d’informations, dont le Financial Times s’est fait l’écho dans son édition du 12 Septembre dernier, sur la remise en vente de Butagaz par sa maison-mère, le groupe Shell (*). Selon le FT , qui cite des sources proches du dossier, l’affaire aurait été confiée à Crédit Suisse Group AG. Comme en 2010, Shell espère obtenir un milliard d’Euros de la vente de sa filiale (19 sites industriels en France et 26 000 distributeurs de bouteilles de gaz sont concernés). La disparition annoncée d’un des membres éminents du cartel français du gaz en citerne, Totalgaz, en passe d’être absorbé par Antargaz, et l’arrivée d’un nouveau CEO à la tête de Shell en début d’année, auraient donc fait ressortir le dossier « Vente Butagaz » des placards de Shell pour la troisième fois en dix ans. Le groupe anglo-néerlandais ne se cache pas de sa volonté de céder ses secteurs les moins rentables : un plan de désinvestissement de 15 milliards de dollars sur deux ans a été récemment adopté. Butagaz est la dernière filiale de distribution de GPL du groupe Shell dans le monde.
Quelle mouche a donc piqué le patron de Butagaz de vouloir lancer de nouvelles offres commerciales au moment où le leader français du GPL est mis en vente ? S’agit-il uniquement de faire monter les enchères pour vendre Butagaz au meilleur prix en dépit du fait que la société s’apprête à laisser sa place de numéro 1 du GPL en France à son concurrent Antargaz ? On peut avoir des doutes sur la sincérité de l’annonce du PDG de Butagaz en constatant que ce dernier souhaite « doubler sa part de marché domestique en dix ans » dans le vrac. S’agit-il de doubler la part du vrac domestique dans les ventes de GPL de la seule société Butagaz, ou de doubler les parts de marché de Butagaz dans le vrac domestique au niveau national ? Ce n’est pas la même histoire ! Et que valent les souhaits d’un dirigeant salarié dont la société s’apprête à être vendue ? Il est certain que la reprise de Totalgaz par Antargaz permet d’envisager quelques opportunités de croissance sur le marché français pour Butagaz : Butagaz fait le pari que nombre de clients Totalgaz ne souhaiteront pas passer sous pavillon Antargaz. De là à imaginer pouvoir doubler ses parts de marché en dix ans alors que les contrats d’approvisionnement durent en moyenne 6 longues années, c’est illusoire sans un changement radical des conditions de la concurrence sur ce marché (il est vrai que le potentiel existe d’un changement radical ou d’une évolution rapide) . Ou sans une percée foudroyante sur le marché en plein développement des réseaux de gaz propane des villages non raccordés au gaz naturel.
A supposer que la part des clients Totalgaz prêts à changer immédiatement de citerne plutôt que devenir client d’Antargaz atteigne 5 %, cela représente tout de même quelque 10 000 clients en capacité de prendre la poudre d’escampette. Le processus peut se répéter chaque année au fur et à mesure de l’échéance des contrats. Sur un marché en décroissance lente et régulière depuis plusieurs années, la nouvelle a de quoi faire lever un sourcil au propanier le plus assagi. Encore faut-il que l’Autorité française de la Concurrence qui vient de se faire refiler le dossier par la Commission Européenne en vertu du principe de subsidiarité, avalise ce projet de rachat entre les deux mastodontes du GPL, du fait de ses implications potentiellement néfastes pour la concurrence ( lire à ce sujet la « Lettre ouverte à l’Autorité de la Concurrence » publiée sur ce site le 29/09/2014). Vu l’atonie de la concurrence dans le propane vrac, on ne voit pas comment l’Autorité de la Concurrence pourrait accepter ce rachat ou cette fusion sans imposer un certain nombre de pré-requis à Antargaz. A supposer que ce rachat se réalise, même « sous conditions », les clients Totalgaz passeront automatiquement sous la coupe d’Antargaz sans avoir à resigner de contrat. Les clients Totalgaz refusant qu’Antargaz devienne leur nouveau fournisseur pourront choisir un autre fournisseur mais se verront alors dans l’obligation de changer de réservoir. Butagaz ne peut pas ignorer cet état de fait. C’est aussi pour capter l’attention des clients Totalgaz récalcitrants à Antargaz que Butagaz lance aujourd’hui sa nouvelle offre commerciale dont les prix très bas ne profiteront malheureusement qu’aux seuls nouveaux clients.
Butagaz n’est pas le seul propanier à vouloir récupérer les miettes d’un festin qui s’annonce gargantuesque ( Totalgaz détient 20 à 25 % du marché du propane vrac en France ) . Selon nos informations, le patron de Gaz Liberté, à l’annonce de la reprise de Totalgaz par Antargaz, aurait lâché un » Zehr gut » avec un sourire entendu. Comme d’autres distributeurs de GPL, Gaz Liberté espère que parmi les 190 000 clients Totalgaz promis à un mariage forcé avec Antargaz, il s’en trouvera quelques milliers qui ne se laisseront pas facilement passer la bague au doigt. Lorsqu’une bague vous est tendue par une américaine obèse maquillée jusqu’aux oreilles (Antargaz est filiale à 100 % d’un géant américain et mondial du GPL, UGI Corp), il est raisonnable de vouloir prendre les jambes à son cou.
Plusieurs indices laissent penser en effet que le passage des contrats Totalgaz dans l’escarcelle Antargaz ne se fera pas toujours de manière automatique, même si le taux de défection restera globalement faible du fait de la nécessité de changer la citerne, conséquence inévitable -en France – du changement de fournisseur.
1- la réputation d’Antargaz sur Internet est franchement mauvaise, en grande partie du fait que le client est abandonné à son sort immédiatement après la signature de son contrat (les commerciaux qui font signer les contrats sont souvent des VRP « sous-traités » par Antargaz, dans tous les sens du terme), ce qui peut provoquer des situations ubuesques ( voir par exemple l’article « 100 % d’augmentation du prix du gaz en un mois » ). Même si les clients Antargaz qui s’expriment sur Internet le font habituellement pour se plaindre, même s’il faut savoir faire la part des choses entre la grande masse des silencieux et une poignée de mécontents volubiles, il n’en reste pas moins que c’est parmi les anciens clients d’Antargaz que Gaz Liberté recrute ses troupes les plus motivées. Un signe qui en dit plus long que tous les discours. Et qui ne saurait mentir au moment du choix. De ce point de vue, il y a donc peu de chances que l’absorption de Totalgaz par Antargaz augmente le niveau de satisfaction générale des consommateurs de propane en France. Gaz Liberté et d’autres indépendants comme la SAPS, surfant sur le mécontentement phénoménal des consommateurs français de gaz en citerne (**), on comprend que ce rachat augure de bonnes années à venir pour le Petit Poucet du GPL français. Lequel continue de semer des petites citernes blanches sur son passage, à l’attention de ceux qui ont compris depuis longtemps l’intérêt de reprendre leur liberté d’acheteur.
2- les commerciaux de Totalgaz usaient et abusaient naturellement de la fibre nationale (« Total et la France »), sensible chez certains de nos compatriotes, pour vendre le nom de Total à travers celui de Totalgaz, et faire ainsi mieux passer la dragée de tarifs abusifs. Il est vrai qu’à l’exception de Vitogaz, les propaniers présents sur la totalité du territoire français sont majoritairement sous contrôle de capitaux étrangers. Dès lors que l’américain Antargaz aura reçu le feu vert de l’Autorité pour reprendre les actifs du français Totalgaz, les clients de Totalgaz sensibles à l’argument montebourgeois de la « préférence nationale » n’auront pas plus de raison d’opter pour Antargaz que pour un autre propanier, si ce n’est pour éviter de devoir remplacer leur citerne ( l’autre français, Vitogaz, étant à fuir comme la peste : voir les articles concernant ce fournisseur sur ce site). Il n’est donc aucunement garanti que le « passage de citerne » du français Totalgaz à l’américain Antargaz se fera toujours comme une lettre à la poste.
3- il est notoire qu’Antargaz propose, sur la durée des contrats, les prix du propane parmi les plus élevés en France, avec une qualité de service très médiocre. Le point « positif » , si on peut dire, est que les prix d’Antargaz ne diffèrent guère aujourd’hui des prix stratosphériques auxquels les clients Totalgaz ont été habitués. Ils sont même étrangement proches. Au plan tarifaire, les clients Totalgaz ne sentiront donc pas de différence entre ces deux fournisseurs. Au plan commercial, par contre, les clients de Totalgaz risquent de tomber de haut en découvrant que le fonctionnement d’Antargaz s’apparente quelque peu à celui d’une moissonneuse batteuse, cet engin agricole capable, par la magie d’un seul conducteur coupé du reste du monde, de tondre des millions de consommateurs une à deux fois par an, depuis sa cabine de pilotage, sans jamais mettre le pied par terre.

Machine à engranger le blé (XXI siècle après JC) pilotée par un être humain et un ordinateur. Identifiez sur le schéma les divers éléments de la moissonneuse nécessaires à l’obtention d’une moisson très profitable : désinformation organisée, mensonges, incurie, abus de droit, faiblesse des associations de consommateurs…
Butagaz a probablement fait le même constat et souhaite visiblement perturber le déroulement de la moisson, ou à défaut, pouvoir jouer les glaneurs après le passage de la batteuse Antargaz. Il s’agit pour Butagaz de convaincre sur la durée. « Si dans les dix ans, on arrive à doubler notre part de clients domestiques, on sera très satisfaits. C’est une ambition, plus qu’un objectif » a déclaré à l’AFP le président de Butagaz (170.000 citernes domestiques installées, 80.000 citernes industrielles, avec des volumes de vente comparable sur les deux segments ) sans expliquer comment il compte y arriver. Le gaz de pétrole liquéfié (GPL) reste une énergie d’avenir, selon Butagaz, sachant qu’elle pollue moins que le fioul et que 27.000 communes rurales françaises ne sont pas desservies par les réseaux de gaz naturel, soit 16 millions de consommateurs potentiels.
Les trois nouvelles offres commerciales de Butagaz destinées au marché domestique et RESERVEES AUX NOUVEAUX CLIENTS sont :
L’offre écoConfortique, qualifiée de « révolutionnaire », garantit une facture mensuelle de gaz fixe, fondée sur une évaluation individuelle de la consommation moyenne de l’habitat. La mensualité est fixée pour la seule année suivante, et déterminée à climat normal ( moyenne des 10 derniers relevés climatiques de la région). S’il fait plus froid que le climat normal de la région, le supplément de consommation dû à l’effet météo n’est pas facturé au client.
Commentaires Adecopro :
1) Butagaz parie visiblement sur le réchauffement climatique à venir, pour ne pas avoir à subir trop de pertes financières sur cette offre commerciale ! Ca tombe bien : selon l’équipe d’experts dirigée par le climatologue Jean Jouzel, d’ici 2050, la France affichera une hausse des températures moyennes en métropole de 0,6° à 1,3°C par rapport aux années 1976-2005.
2)L’intention est louable : jusqu’à présent le risque « grand froid » est uniquement supporté par le consommateur. C’est d’autant plus injuste qu’il existe une relation directe entre l’indice de froideur d’un hiver (Heating Degree Days en anglais ou Degré Jours de Chauffe en français) et les profits réalisés au cours de la même année par les propaniers ( pour plus d’explications, lire l’excellent article de ce site » Pourquoi les propaniers aiment les hivers longs et froids ? » ). Les informations distillées sur cette nouvelle offre Butagaz n’expliquent cependant pas ce qui se passe si l’hiver est plus doux que prévu : le gain réalisé par Butagaz sur les quantités de propane non consommées mais déjà payées par le consommateur reste t-il dans la poche de Butagaz, ou sera t’il restitué au client ? Pour avoir la réponse, suivez mon regard……
Une deuxième offre, Idéo, propose une durée du contrat à la carte, le choix du type de citernes, des services à la carte avec un prix du gaz bloqué sur une période pouvant aller jusqu’à 5 ans.
Commentaires Adecopro :
Durée du contrat à la carte pour un consommateur non propriétaire de sa citerne, ça parait bien trop beau pour être vrai. Il y a forcément une note en bas de page quelque part , qui restreint cette liberté de choix en fonction du type de citerne choisi par le consommateur.
En ce qui concerne le prix du gaz bloqué pendant 5 ans, ce n’est qu’un pur calcul de prime de risque : il convient donc que Butagaz détaille le montant des primes à payer par le client pour bénéficier de la fixité du prix d’achat de son propane pendant un an, deux ans, trois ans….. prime exprimée en € supplémentaire par rapport au tarif de base du client
Une troisième offre, Solo, s’adresse aux futurs et actuels propriétaires des citernes. Cette offre est assortie du commentaire suivant » Avoir le choix d’être propriétaire de sa citerne, c’est une décision qui concerne chaque consommateur » (sans blague !) et » Le client choisit la durée de son contrat ». Butagaz décide donc de vendre des citernes aux nouveaux clients qui souhaitent d’emblée acheter leur citerne : de surprise, le mur de Berlin en tombe à la renverse ! Car les ventes de citerne étaient jusqu’à maintenant réservées à ceux qui étaient déjà en « possession » d’une citerne Butagaz dans leur jardin. Attendons de voir les prix proposés.
Commentaires Adecopro :
Il n’est pas possible d’avoir plus d’informations sur cette offre à l’heure où j’écris ces lignes. S’il s’avérait que Butagaz souhaite vendre son propane moins cher aux propriétaires de citernes qu’aux non-propriétaires, ce serait effectivement une petite révolution dans le GPL français. Il n’y a jamais eu, à notre connaissance, de tarif spécifique du propane pour les propriétaires de citerne en France (contrairement à ce qui se fait dans les pays voisins). Si telle est l’intention de Butagaz, on peut s’attendre à ce que la différence de tarif soit plus symbolique que réelle. Mais nous serions , quoiqu’il en soit, ravis de cette décision qui contribue à légitimer l’achat de citernes de gaz, en particulier parmi les gros consommateurs de propane, et ramène un peu de rationalité économique sur un marché globalement défaillant.
Nous vous en dirons plus lorsque nous aurons obtenu les informations complémentaires de Butagaz.
Avec ces trois offres, Butagaz souhaite visiblement se démarquer de la concurrence en apportant un peu d’air frais sur le marché du propane vrac.
Pour tous les autres clients, Butagaz s’engage à maintenir son tarif basse saison de cet été jusqu’au 30 avril 2015. Soit une remise de 50 euros la tonne sur le tarif applicable au 1er octobre prochain. Toujours bon à prendre par les temps qui courent.
(*) on notera avec amusement que l’article du Financial Times qui rappelle les noms des principaux prétendants au rachat de Butagaz lors de sa seconde tentative de vente en 2010, omet de mentionner le leader brésilien du GPL, Ultragaz, qui bénéficia pourtant de toutes les faveurs du groupe Shell le temps d’une négociation exclusive ( au sujet de l’histoire rocambolesque du groupe Ultragaz, voir l’article « Shell arrivera t’il à vendre Butagaz ? » ). C’était aussi la seconde tentative de rachat de Butagaz par le groupe brésilien. Petite devinette : pour cette troisième tentative de cession de Butagaz, derrière quel obscur fonds d’investissement Ultragaz avance t’il masqué cette fois ?
(**) l’association attend toujours avec impatience les statistiques annuelles concernant le nombre de courriers de réclamation reçus en France par les DDCCRF + DGCCRF, pour le seul secteur du propane vrac !