Le TGI de Grenoble statuant le 6 Mai 2013 à la demande de l’UFC Grenoble, dans un procès initié fin 2011 par le regretté Roger Caracache, ancien président de l’UFC Grenoble, vient de prendre une décision historique en examinant en détail les clauses contenues dans les contrats Antargaz. Non seulement les juges ont estimé que pas moins de 30 clauses des contrats Antargaz sont abusives, donc réputées non écrites, mais ils affirment pour la première fois que les consommateurs-propriétaires de leur citerne de gaz ne doivent plus être tenus à une exclusivité d’approvisionnement. En effet actuellement, tous les contrats de propane proposés par les gaziers français contiennent une obligation d’exclusivité d’approvisionnement, que les consommateurs soient ou non propriétaires de leur citerne.
Dans les faits, le marché français est complètement verrouillé par les pratiques anti-concurrentielles des grands propaniers qui s’arrangent pour dissuader les clients de devenir propriétaires de leur citerne en utilisant les arguments les plus fallacieux. Le faible nombre de propaniers en France ( 5 propaniers nationaux + une poignée de vrais et faux indépendants, contre 450 distributeurs en Allemagne), et l’absence d’outsiders d’envergure nationale, a permis aux grands propaniers d’assurer une mainmise quasi-totale sur la distribution du gaz en citerne et de contrôler à la fois les prix et les es-prits, dans une démarche oligopolistique et totalitaire. Trop rares ont été jusqu’à présent les clients des propaniers, consommateurs ou industriels, qui se sont arrangés pour acheter leur citerne directement à un fabricant, et les ont fait installer chez eux avec l’aide d’ingénieurs ou de distributeurs indépendants, avant de retourner voir les propaniers en leur tenant le discours : « Vous n’avez pas voulu me vendre une citerne. Je me suis donc arrangé pour m’en faire installer une sans votre intermédiaire. Maintenant je vous em…. et vous allez me remplir cette citerne sans contrat d’exclusivité. »
Face à la violence économique de ces cartels, à leurs mensonges, à leur déloyauté, à leur suffisance, à l’immoralité avec laquelle ils abusent des petites entreprises comme des consommateurs les plus fragiles, il ne saurait y avoir de discours assez ferme, il ne saurait y avoir de peines assez sévères : ces dirigeants d’entreprises cartellisées dont la plupart ont été formés dans les grandes écoles de la République, auraient dû goûter à la prison depuis bien longtemps ( voir ici le traitement réservé récemment par les juges anglais à l’encontre d’un chef d’entreprise instigateur du cartel des réservoirs à eau : six mois de prison ferme https://www.gov.uk/government/news/director-sentenced-to-6-months-for-criminal-cartel )
Par leur décision, les juges du TGI de Grenoble donnent donc aux consommateurs propriétaires de leur citerne des droits SUPPLEMENTAIRES par rapport aux consommateurs non-propriétaires (locataires ou consignataires). Ce faisant ils amorcent la révolution de la transparence des prix sur le marché du gaz en citerne, transparence qui finira sans aucun doute par profiter à tous les consommateurs, même si cette décision ne concerne pour le moment, dans son principe, que les seuls propriétaires de citerne.
Que disent donc les juges de Grenoble à propos des propriétaires de citerne ?
1) « Rien ne justifie qu’un client propriétaire de sa citerne dont il a confié l’entretien à un professionnel, ne puisse recourir à plusieurs opérateurs pour s’approvisionner en gaz, le cas échéant en effectuant un comparatif des prix……. La société Antargaz ne met en avant aucune contrepartie effective et certaine au bénéfice du consommateur justifiant une telle exclusivité » .
2) « Aucun motif de sécurité n’impose que ces deux prestations (approvisionnement et entretien de la citerne) soient liées, le client propriétaire de son réservoir peut parfaitement s’adresser à un autre professionnel pour en assurer l’entretien »
Conséquences dramatiques pour le lobby français du gaz en citerne si cette décision devait être confirmée en appel ( Antargaz vient de faire appel de la décision des juges et vous pouvez être sûr que tout le lobby du gaz français va suivre l’affaire comme le lait sur le feu ) :
a) il deviendra possible à n’importe quel propriétaire de citerne, ACTUEL ou FUTUR, de mettre en concurrence les 5 distributeurs nationaux de gaz à un instant « t » puisqu’ils ne seront plus tenus de signer un contrat avec un seul propanier pour pouvoir acheter du gaz. Fini la petite vie de rentier, les propaniers vont devoir accorder des prix attractifs s’ils veulent garder les propriétaires de citernes dans leur clientèle, et faire des efforts pour les fidéliser en leur offrant un service digne de ce nom.
b) si les consommateurs propriétaires de leur citerne peuvent demain appeler les 5 propaniers à tour de rôle pour les interroger sur l’évolution de leurs prix afin de commander au meilleur moment, ( ce qui, rappelons le, n’a JAMAIS été possible en France depuis que la citerne de gaz existe, sauf pour une poignée de grands industriels propriétaires de leurs citernes) les grands propaniers seront rapidement obligés, qu’ils le veuillent ou non, de proposer des tarifs inférieurs pour les propriétaires de citerne. Ces différences de tarif ne manqueront pas d’inciter un nombre toujours plus important de consommateurs français à devenir propriétaire de leur citerne créant les conditions pour l’émergence de distributeurs indépendants. Ces indépendants seront obligés, pour se faire une place, de proposer une offre plus transparente que celle des grands propaniers, et participeront ainsi à une meilleure régulation et une meilleure transparence du marché du gaz en citerne.
En dépit du fait que la décision des juges de Grenoble d’affranchir les propriétaires de citerne de toute exclusivité n’a rien de révolutionnaire au regard des pratiques en vigueur dans les pays voisins, cette décision reste, au jour d’aujourd’hui, totalement hérétique pour le cartel français du gaz en citerne, qui ne peut ignorer qu’elle livre sur cette question un combat d’arrière garde.
Ainsi, ayant écrit au début de cette année aux 4 grands propaniers pour leur demander quels tarifs de gaz propane, ils seraient prêts à accorder aux propriétaires de citernes adhérents de l’ADECOPRO, Antargaz, Totalgaz et Primagaz m’avaient répondu qu’il était hors de question de nous livrer du gaz sans faire signer aux membres de l’association un contrat d’entretien de citerne comportant, comme de bien entendu, une clause d’exclusivité d’entretien et d’approvisionnement (j’attends toujours la réponse de Butagaz….)
Ayant fait suivre la réponse des propaniers à la DGCCRF pour demande d’explications, je me suis vu répondre que les membres de l’Association n’avaient qu’à signer des contrats exclusifs pour une durée d’un an avec le propanier offrant les meilleures conditions. Mon interlocutrice me conseillait sans rire de dénoncer chaque année mon contrat d’approvisionnement exclusif, de manière à pouvoir changer de propanier. Cette charmante fonctionnaire de Bercy n’a visiblement jamais signé de contrat de propane de sa vie et elle ignore visiblement la manière dont les 5 propaniers traitent les consommateurs récalcitrants ou trop exigeants afin de les obliger à accepter LEURS conditions. Elle n’a pas compris qu’en faisant le mort jusqu’au début de l’hiver, les propaniers arrivent à leur fin pour la bonne et simple raison que les maisons ne sont jamais équipés d’un double système de chauffage. Il en serait ainsi d’un client qui, exigeant de ne signer avec son propanier que pour la durée maximale préconisée par Bercy (un an), n ‘entendrait plus jamais parler de son propanier. Quel propanier est en effet obligé de contracter dans des conditions qu’il estime trop favorables au consommateur ? Il est grand temps que la DGCCRF comprenne que les multinationales du gaz sont comme ces singes assis sur les branches intermédiaires de l’arbre, qui affichent un visage toujours souriant aux autorités perchées au sommet de l’arbre, tandis qu’ils ne montrent aux consommateurs récalcitrants que leur gros trou du c….
Ce qui me conduit à penser que les juges du TGI de Grenoble ont parfaitement compris ce que la DGCCRF ne veut toujours pas admettre, à savoir que la normalisation de la situation des propriétaires de citerne IMPOSE de les soustraire à l’obligation de signer tout contrat exclusif avec un propanier.
Gageons que le combat en appel contre cette décision des juges va être homérique : les propaniers insisteront pour que les juges d’appel reïtèrent la position beaucoup plus favorable aux propaniers, prise en 2004/2005 par la Cour d’Appel de Versailles, selon laquelle l’impératif de sécurité pouvait permettre de considérer, à la rigueur, que la clause d’exclusivité de remplissage n’était pas nécessairement abusive.
Ce faisant la Cour d’Appel de Versailles, dans ses arrêts de 2004/2005, n’avait pas manqué d’être largement influencée par nos menteurs patentés. Les industriels du transport aérien, qui ont poussé beaucoup plus loin que les pétroliers le culte de la sécurité des consommateurs (au point que leurs méthodes de gestion des risques est utilisée de nos jours pour redéfinir les procédures dans les salles d’opération des hôpitaux), n’ont jamais exigé que les opérations d’entretien et de maintenance soient effectués pendant toute la durée de vie des aéronefs par une seule et même entreprise, a fortiori par celle chargée du remplissage en kérosène des réservoirs. Ce qui n’empêche pas les propaniers de prétendre qu’il est justifié d’exiger que les citernes de gaz soient surveillées toute leur vie durant par une seule et même entreprise, et en particulier par celle qui dispose de l’exclusivité de remplissage.
Si donc un même aéronef, objet technologique infiniment plus complexe qu’une vulgaire citerne, peut faire l’objet d’opérations de maintenance par des techniciens appartenant à des sociétés n’ayant aucun lien capitalistique entre elles, ne parlant pas la même langue, et basées dans des pays différents, a fortiori une citerne de gaz, dont l’accidentologie révèle (en raison même de son absence de sophistication) un taux d’incident sans commune mesure avec le transport aérien, doit pouvoir faire l’objet d’opérations de maintenance par autant d’entreprises spécialisées qu’il siéra au consommateur de choisir, le rôle des pouvoirs publics se bornant à accréditer les entreprises habilitées à exercer les contrôles, voire la maintenance préventive et curative. Les propaniers se moquent donc de la justice et des juges en invoquant pour des raisons de sécurité que la maintenance d’une citerne doit être assurée par une entreprise unique, celle-là même qui a mis la citerne à disposition du consommateur.
L’assemblée législative du Connecticut ne s’y est pas trompée en décidant de statuer récemment contre les pratiques anti-concurrentielles des propaniers (voir sur ce site l’article http://wp.me/p308k1-Fb ). Son rapporteur relevait que, d’après les informations communiquées par les Fire Marshalls de différents Etats, le taux d’accident sur les citernes propriété-client n’était pas plus important que le taux d’accident survenu sur les citernes appartenant aux propaniers.
En décidant que l’exclusivité de livraison est abusive pour les SEULS propriétaires de citerne, opérant une distinction qui n’avait jusqu’à présent jamais été faite par un tribunal – l’insignifiance actuelle du nombre de propriétaires de citernes en France expliquant certainement cet oubli –, les juges du TGI de Grenoble montrent qu’ils ont pris conscience du rôle « d’avant -garde consumériste » que les propriétaires de citernes sont appelés à jouer dans la libéralisation du marché du gaz en citerne, contre l’emprise délétère des grands propaniers.
Bravo, bravo et bravo!