Alors que les médias continuent d’en rajouter sur le cas de l’usine Lubrizol qui a empesté le Val de Seine avec ses rejets involontaires d’odorant gazeux dans l’atmosphère qui sont allés taquiner jusqu’aux narines de nos amis anglais, j’ai envie de vous parler, par pur esprit de contradiction, d’une histoire d’odorant qui disparaît sans crier gare. Une brève recherche sur Internet montre qu’aucun média français ne s’est inquiété jusqu’à présent d’informer les consommateurs sur un danger pourtant bien réel. Gageons que les gaziers français auront simplement oublié de communiquer sur le sujet. Un danger tellement réel qu’un propanier américain a été condamné en 2012 à payer 7,5 Millions de dollars à la famille d’une victime d’une explosion au propane pour avoir méconnu le phénomène de désodorisation du gaz propane ( voir archives du site février 2013).
Figurez vous qu’il arrive que le gaz naturel et le propane perdent leur fameux odorant de manière subreptice et redeviennent inodores….et donc indétectables en cas de fuite. La nouvelle ressemble à un canular de 1er Avril, mais elle n’a malheureusement rien de fantaisiste. En parcourant la littérature américaine sur le sujet, on se rend compte que les gaziers savent depuis des décennies que le gaz naturel comme le propane peuvent être « dépouillés » de leur odorant au contact de certains matériaux. Au point qu’une fuite de gaz puisse passer totalement inaperçue pas simplement de ceux qui, l’âge aidant, ont perdu un peu de leur odorat ou qui ont temporairement le nez bouché, mais aussi de personnes dont le seuil de perception des odeurs est absolument normal. Il y a même des scientifiques et des ingénieurs qui font des colloques très sérieux sur la question (« Natural Gas Odorization International Conference & Exhibition », Houston 25 Mai 2010), à commencer par les membres de l’Association Nationale des Ingénieurs Légistes, la NAFE ou National Association of Forensic Engineering, l’expression « forensic engineers » désignant les experts en sécurité qui viennent enquêter sur les lieux des drames, à la manière des médecins légistes.
Les propaniers sont à présent rattrapés par la justice américaine qui leur demande des comptes au sujet d’ouvriers malencontreusement décédés sur des chantiers à la suite d’explosions au gaz non détectable à l’odorat au moment de l’explosion. En effet les gaziers et les propaniers ont de tout temps laissé croire qu’une fuite de gaz était nécessairement détectable à l’odorat.
Si la justice détermine que les gaziers ont une obligation de résultat en matière de « détectabilité » de l’odeur des gaz explosifs, on comprend qu’après chaque accident les propaniers s’empressent de vider les citernes de gaz de leur « gaz fautif » , histoire de faire disparaître toute trace d’un gaz dont l’absence d’odeur perceptible pourrait être à l’origine du drame. Malheureusement pompiers et gendarmes sont laissés dans l’ignorance que, ce faisant, ils demandent aux propaniers de faire disparaître les traces de leur propre forfaiture. Très nombreux sont en effet les survivants d’une explosion au propane qui n’ont rien senti venir, alors que ces mêmes personnes sont en temps normal parfaitement capables de reconnaître l’odeur du gaz sans coup férir. Les propaniers cherchent-ils à éviter que leur responsabilité puisse être engagée dans des accidents où l’odeur du gaz était indétectable ?
Tout d’abord quelques explications sur les circonstances dans lesquelles le gaz naturel et le gaz propane peuvent perdre leur odeur…..
Chacun est familier avec l’odeur d’oeuf pourri qu’on associe naturellement avec l’odeur du gaz. Si cette odeur n’est pas présente, alors que le gaz se trouve bien à l’intérieur, quand un plombier ou un mécanicien ouvre une vanne pour purger une conduite de gaz, les conséquences peuvent être dramatiques.
La disparition de l’odeur du gaz se produit quand le tuyau de gaz ou la citerne de gaz adsorbe ( adsorbtion = fixation superficielle d’un gaz sur un solide) le gaz odorant qui est ajouté au propane (le fameux mercaptan). Cette disparition peut être totale selon la quantité de gaz circulant, le pouvoir d’adsorbtion, et la surface d’échange entre le solide et le gaz. Ainsi du gaz sortant d’un long tuyau de gaz peut sortir totalement rincé de son odorant et ne plus être détectable au nez. Ce phénomène de disparition de l’odeur de gaz, bien connu des gaziers, est largement passé sous les radars des médias et du grand public jusqu’à une époque récente. Durant la décennie écoulée, il y a eu quelques histoires de purge de tuyaux de gaz qui ont très mal fini : les rapports d’enquête ont révélé que la cause de l’accident provenait de l’absence d’odeur du gaz.
Le gaz naturel et le propane sont naturellement incolores et inodores. Suite à une explosion qui se produisit dans une école au Texas en 1937, tuant 295 enfants et enseignants, il fût décidé par les autorités de cet état, puis par les autorités américaines, qu’un odorant serait ajouté au gaz.
Aux USA la responsabilité du distributeur de gaz naturel s’arrête au compteur : le gazier a obligation de rendre son gaz odorant uniquement jusqu’au compteur et c’est la raison pour laquelle il sature ses conduites d’ethyl mercaptan de manière à éviter le phénomène d’adsorption et permettre au gaz de dégager une odeur suffisamment offensive jusqu’au compteur individuel. Après le compteur, l’entreprise de plomberie est, elle, censée savoir que l’odorant résiduel peut être adsorbé sur la longueur de tuyau nécessaire pour arriver jusqu’à la chaudière du pavillon, de la résidence, ou de l’usine où se déroule son chantier.
Les tuyaux d’acier , les citernes en acier sont de bons adsorbants du mercaptan, ce qui explique que le gaz y laisse tout ou partie de son odeur. Ce phénomène se produit surtout dans les tuyaux neufs, dans les citernes de propane neuves, dans les tuyaux de large dimension, et dans les tuyaux où le gaz est resté longtemps sans circuler. Mais le phénomène peut aussi se produire dans les tuyaux existants, dans des petits diamètres de tuyauterie, et quand le flux de gaz est faible ou intermittent. Les études en laboratoire, qui ont démarré dans les années 80, ont démontré que les taux d’adsorption de l’odorant sont affectés par une diversité de facteurs comme la composition des tuyaux, leur taille, leur porosité naturelle, les variations de température, les raccords de tuyauterie, le taux d’oxydation des tuyaux ou de la citerne, la présence d’eau de condensation ou de saletés dans le tuyau de gaz. Les surfaces oxydées sont particulièrement efficace pour dépouiller le gaz de son mercaptan du fait d’une surface d’échange beaucoup plus importante. Attention : une citerne de propane s’oxyde naturellement dès qu’il n’y a plus de gaz à l’intérieur ( l’air atmosphérique s’installant dans la citerne ) sauf si le robinet de sortie de citerne a été fermé dès que le gaz s’est définitivement épuisé.
Tous les plombiers qui doivent purger une nouvelle canalisation se fient à leur nez : dès que le gaz a suffisamment chassé l’air du tuyau, le nez est en principe immédiatement averti par l’odeur du gaz qui commence à sortir : le problème est qu’il peut y avoir des cas où le gaz n’a plus d’odeur. Dans un endroit non ventilé, le gaz non détecté par le plombier peut très très rapidement atteindre une quantité suffisante pour exploser.
Un problème similaire peut se présenter dans les chantiers de construction lorsqu’il y a des interruptions ou des délais importants. Si les tuyaux ont été remplis de gaz puis bouchés, et que le chantier s’arrête plusieurs semaines ou plusieurs mois, l’odeur du gaz peut disparaître complètement des tuyaux d’arrivée de gaz. Dans les grands projets immobiliers, une arrivée principale de gaz de gros diamètre est généralement installée et il arrive qu’on y envoie le gaz pour des besoins limités à quelques essais. Puis le gaz reste dans le tuyau pendant plusieurs mois avant que le travail ne soit terminé. Pendant cette période, le mercaptan a largement le temps d’être adsorbé.
Aux Etats Unis, plusieurs cas d’explosions au gaz naturel ou au gaz propane dans des espaces clos ont été liés à une odeur de gaz indécelable. C’est pourquoi de plus en plus de voix s’élèvent pour demander que les gaziers forment les plombiers et informent les consommateurs des dangers de la disparition de l’odeur du gaz, en distribuant du matériel éducatif et en faisant écho à ce problème de sécurité largement méconnu sur leurs sites Internet.